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à détruire dans le peuple tout respect de la religion, toute foi religieuse, on ne s’y prendrait pas autrement… Que restera-t-il bientôt de l’Église orthodoxe ? Le jour où le tsarisme en danger voudra s’appuyer sur elle, il ne trouvera plus rien… Moi aussi, je commence à croire que Raspoutine est l’Antéchrist…


Mardi, 15 février.

Il y a quelques jours, la grande-duchesse Marie-Pavlowna m’avait fait savoir qu’il lui serait agréable de venir dîner « intimement » à l’Ambassade : je l’ai invitée pour ce soir. Autour d’elle, j’ai groupé M. et Mme Sazonow, sir George et lady Georgina Buchanan, le général Nicolaïew, le prince Constantin Radziwill, Dimitry Benckendorff et mon personnel.

Selon les rites de la Cour impériale, j’attends la Grande-Duchesse au pied de l’escalier, où je lui offre le bras. Tandis que nous montons vers les salons, elle me dit :

— Je suis heureuse de me trouver à l’Ambassade de France, c’est-à-dire sur le territoire français. Voilà longtemps qu’on m’a appris à aimer la France. Et, depuis lors, j’ai toujours eu foi en elle… Aujourd’hui, ce n’est plus seulement de l’amitié que j’éprouve pour votre patrie, c’est de l’admiration et de la vénération.

Après quelques mots échangés avec les autres convives, nous nous dirigeons vers la salle à manger. D’un ton affectueux et s’appuyant sur mon bras, la Grande-Duchesse me glisse à l’oreille :

— Je vous remercie de m’avoir si bien entourée. Avec Sazonow, Buchanan et vous, je me sens en pleine confiance. Et j’ai tant besoin d’être en confiance !… Je suis sûre que je vais passer une excellente soirée.

À table, nous effleurons divers sujets d’actualité, sauf la politique. Puis, la Grande-Duchesse me parle de ses œuvres hospitalières, qui sont innombrables : ambulances, trains sanitaires, asiles de réfugiés, écoles professionnelles d’aveugles et de mutilés, etc. elle s’y adonne avec autant de zèle que d’intelligence et de cœur. Elle me confie ensuite un projet qu’elle a formé comme présidente de l’Académie impériale des Beaux-Arts :

— Aussitôt après la guerre, je voudrais organiser à Paris