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Londres, l’Engadine et Cannes. Ainsi, tout s’accordait aux vœux de Nathalie-Serguéïewna.

Quand la guerre éclata, le couple obtint la permission de rentrer en Russie, où le Grand-Duc reçut le commandement d’une brigade cosaque. Il se battit avec bravoure. Mais sa santé, qui avait toujours été frêle, se délabra vite, en sorte qu’il dut échanger son commandement actif contre une vague inspection, qui lui permit de résider tantôt à Gatchina, tantôt à Pétrograde.

On dit que la comtesse Brassow travaille à lui procurer une revanche sur un autre terrain. Ambitieuse, habile, dénuée de tout scrupule, elle affiche depuis quelque temps les opinions les plus libérales. Son cercle, tout restreint qu’il soit, s’ouvre fréquemment à des députés de gauche. Dans le monde de la Cour, on l’accuse déjà de trahir le tsarisme : elle en est ravie, car cela souligne son altitude et prépare sa popularité. Elle s’émancipe de plus en plus ; elle tient des propos d’une hardiesse étonnante, qui, dans toute autre bouche que la sienne, seraient payés par vingt ans de Sibérie…


Dimanche, 13 février.

La faveur croissante, dont Sturmer jouit manifestement auprès de l’Impératrice et le crédit de confiance que lui accorde l’Empereur, entretiennent une vive fermentation dans le Saint-Synode. Tout le clan de Raspoutine exulte. Le métropolite Pitirim, les évêques Varnava et Isidore se sentent déjà les maîtres de la hiérarchie ecclésiastique ; ils annoncent l’épuration prochaine et radicale du haut clergé, c’est-à-dire le sacrifice de tous les prélats, higoumènes et archimandrites qui refusent encore de s’incliner devant l’érotomane mystique de Pokrowskoïé, parce qu’ils voient en lui l’Antéchrist. Des listes de disgrâces et de destitutions circulent depuis quelques jours, même des listes d’exil dans ces couvents lointains de Sibérie d’où l’on ne revient pas.

Et l’on chante hosannah aussi, chez « les mères de l’Eglise, » chez la comtesse I… et Mme G… !

L’ancien ministre Krivochéine, désolé, écœuré, me disait hier :

— Ce qui se passe et qui se prépare est abominable. Jamais le Saint-Synode n’était encore tombé si bas !… On chercherait