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Qui sait pourtant si le dernier mot que l’avenir prononcera sur Ferdinand de Cobourg ne sera pas une expression de pitié ? Le personnage triomphe aujourd’hui. Mais quelle sera sa fin ? Avec le héros mélancolique de Comme il vous plaira, je dirai : « Quelle sera la dernière scène qui terminera cette étrange histoire accidentée ? »

That ends this strangeLast scène of all,
That ends this strange eventful history !


Dimanche, 30 janvier.

L’armée du Grand-Duc Nicolas-Nicolaïéwitch fait merveille dans l’Arménie septentrionale. À travers un chaos de montagnes abruptes et glacées, elle bouscule les Turcs devant elle et s’approche rapidement d’Erzeroum.


Lundi, 31 janvier.

Jamais, et en aucun pays, la parole publique ne fut et n’est encore plus étouffée qu’en Russie. Assurément, depuis une vingtaine d’années, la police a un peu atténué ses rigueurs envers la presse ; mais elle a gardé toutes ses traditions d’implacable sévérité pour les manifestations oratoires, pour les conférences et les discours. À son point de vue, elle a raison : les Russes sont infiniment plus sensibles à la parole qu’à l’écriture. D’abord, la race est imaginative ; par suite, elle éprouve toujours le besoin d’entendre et de voir ceux qui s’adressent à elle. Puis, les huit dixièmes de la population ne savent pas lire. Enfin, les longues veillées hivernales et les discussions du mir exercent, depuis des siècles, le moujik aux improvisations verbales. Chaque hiver, de cinq à sept mois selon la région, les travaux agricoles sont entièrement suspendus. Les paysans restent enfermés, entassés dans leurs isbas et ne s’interrompent de sommeiller que pour discuter indéfiniment. Les délibérations du mir, c’est-à-dire de la communauté rurale, où l’on règle l’allotissement et l’exploitation des propriétés collectives, terres de labour, pâturages, rivières, étangs, etc. offrent de même au moujik une fréquente occasion de pérorer. Ainsi s’explique le rôle énorme que les orateurs des assemblées paysannes ont joué dans toutes les insurrections agraires. On l’a vu au temps de