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— Comment M. Bratiano ne voit-il pas, lui dis-je, qu’il s’expose par cette attitude aux pires déconvenues ? C’est surtout lorsqu’on traite avec les Russes qu’on ne saurait être assez positif, assez prévoyant, assez précis. Quand je songe que, à l’heure présente, sous le coup d’un ultimatum allemand, vous n’avez même pas ébauché une convention militaire avec l’État-major russe, toute votre politique me paraît une folie.

— Vous savez que M. Bratiano se méfie beaucoup des Russes. Il ne veut s’engager envers eux qu’à la dernière heure. Et, cette heure, il la fixera lui-même, lui seul.

— Mais, dans une crise aussi colossale, personne n’est maître de l’heure !… Puis, vous imaginez-vous qu’on improvise, au dernier instant, un plan de campagne, une base d’approvisionnements, un système de transports ?… La méfiance de M. Bratiano à l’égard des Russes n’est, selon moi, justifiée qu’en un point, je veux dire leur incapacité d’organisation. Raison de plus pour concerter le plus tôt possible un programme pratique de coopération et en préparer secrètement l’exécution. Dans quelque région que les troupes russes doivent être envoyées, que ce soit en Moldavie ou dans la Dobroudja, leur ravitaillement constitue, à lui seul, un problème énorme, dont la solution exige peut-être plusieurs mois. N’oubliez pas que les chemins de fer russes et roumains n’ont pas la même largeur de voie et que leur raccordement se réduit à la ligne d’Ungeny, puisque la ligne Kichinew-Reni n’aboutit qu’au delta danubien. Tant que ce problème ne sera pas résolu, tant que les conditions préalables et nécessaires d’une coopération russo-roumaine ne seront pas réalisées, la Roumanie sera abandonnée à ses seules forces et, je le crains, toute ouverte à l’invasion.

Diamandy, assez ému, me répond :

— Oui, notre situation serait critique ; car, avec nos 500 000 hommes, nous ne pouvons pas protéger à la fois 500 kilomètres de Danube et 700 kilomètres de Carpathes. C’est pourquoi il faut absolument que les Russes nous couvrent, dans la Dobroudja, contre une offensive des Bulgares.

— Je ne sais à quelle décision s’arrêtera le Haut-Commandement russe ; mais je sais déjà, par le général Polivanow, que, dans l’état présent des voies ferrées, le ravitaillement d’une armée russe au Sud du Danube semble impossible.