Page:Revue des Deux Mondes - 1921 - tome 6.djvu/78

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ce jeune Marseillais exilé, regrettant ces jeudis, « où Marseille tient ses marchés de fleurs » et s’écriant, en songeant à son cher Alphonse Daudet, si longtemps admiré et si souvent feuilleté :


C’est là que je serais dans la tiédeur vermeille
Au milieu des flâneurs,

Si je n’avais voulu, pour être ce poète
Que nul ne demandait,
Risquer d’être à Paris un Daniel Eyssette
Sans Alphonse Daudet ;

Si je n’avais rêvé le vieux rêve inutile,
A tant d’autres pareil,
De me faire une place au soleil d’une ville
Qui n’a pas de soleil…


Oui, sans doute, et on ne l’a point assez remarqué, il y a eu dans la vie d’Edmond Rostand cette époque, entre sa sortie de Stanislas et la représentation des Romanesques, où ce jeune homme, peu mêlé aux cénacles littéraires ou à la vie des salons, poète isolé, a la nostalgie du Midi natal. Mais d’ailleurs, sous l’aiguillon de la souffrance, cette nostalgie ne s’est-elle pas affinée plus tard jusqu’à lui faire abandonner complètement Paris, jusqu’à le pousser vers les Pyrénées de son enfance, qui ne sont certes point tout à fait la Provence, mais qui sont aussi du beau Midi ensoleillé ? L’existence proprement parisienne de Rostand n’occupe que quinze années de sa vie, dont huit sont obscures, et pendant ces huit années, il a été le jeune collégien de Stanislas, puis l’étudiant isolé et pensif, qui ne cesse de rappeler avec mélancolie les visions de son enfance lumineuse. Et n’est-ce pas de ce grand désir de lumière que naît peu à peu et se forme son œuvre, avec ses décors éclatants, ce vieux mur doré des Romanesques, la Méditerranée de la Princesse lointaine, la Judée de la Samaritaine, son vieux puits, son grand figuier, ses routes blanches, ses oliviers à la pâleur argentée, la Gascogne de Cyrano, la ferme pyrénéenne de Chantecler.

Ainsi, ce Chantecler, où l’on a voulu voir une déformation de son art, il en est bien plutôt le couronnement ; c’est la plus haute expression de son sentiment méridional. Si la lumière enveloppait déjà, des Romanesques à Cyrano, tous ses poèmes, dans Chantecler elle est, comme le Dieu d’Athalie, la puissance invisible, quoique visible, et toujours présente, même quand