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l’affaire, ordonna de surseoir à l’instance. L’évêque passa outre et, de son autorité propre, au mépris de toutes les règles, il décréta la canonisation de l’archevêque Jean, « serviteur de Dieu ; » puis il sollicita directement l’approbation impériale, formalité indispensable et définitive de toute sanctification. Une fois de plus, l’Empereur se laissa forcer la main par l’Impératrice et Raspoutine : il signa lui-même le télégramme qui annonçait à Mgr Varnava la confirmation suprême.

Au Saint-Synode, le clan de Raspoutine exulta. Mais la majorité de l’assemblée décida qu’elle ne laisserait pas s’accomplir une si éclatante infraction aux lois de l’Église. Le Procureur suprême Samarine, homme intègre et courageux, que la noblesse de Moscou venait justement d’imposer au choix du Tsar pour succéder au vil Sabler, soutint de toutes ses forces les protestataires. Sans même en référer à l’Empereur, il appela de Tobolsk Mgr Varnava et lui enjoignit d’abroger son décret L’évêque refusa, d’un ton péremptoire et insolent : « Tout ce que le Saint-Synode peut dire ou penser m’est égal.. Le télégramme de confirmation que j’ai reçu de Sa Majesté me suffit… » Alors, sur l’initiative de Samarine, le Saint-Synode ordonna que le prélat contempteur des lois ecclésiastiques serait destitué de sa fonction épiscopale et relégué dans un couvent. Mais, là encore, il fallait obtenir la sanction impériale. Samarine entreprit bravement de convertir l’Empereur ; il y dépensa tout ce qu’il avait d’éloquence et d’énergie, de loyalisme et de piété. Nicolas II l’écoutait d’un air ennuyé, avec des gestes nerveux ; il finit par dire : « Mon télégramme à l’évêque n’était peut-être pas très correct. Mais ce qui est fait restera fait. Et je saurai imposer à tous le respect de ma volonté. »

Huit jours plus tard, le Procureur suprême Samarine était remplacé par un fonctionnaire obscur et servile, un familier de Raspoutine, Alexandre Woljine. Et, peu après, le président du Saint-Synode, Mgr Wladimir, métropolite de Pétrograde, qui avait eu dans ce conflit l’attitude la plus méritoire, était transféré au siège de Kiew, pour céder la première dignité religieuse de l’Empire à une autre créature de Raspoutine, à l’archevêque de Vladikaukaz, Mgr Pitirim.