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Plus au Sud, dans la Galicie orientale, en face de Czernowitz, les Autrichiens fléchissent un peu.

Le colonel Narischkine, aide de camp de l’Empereur et qui l’approche quotidiennement, me dit :

— Sa Majesté est très affligée par le désastre des Serbes ; elle nous demande, à chaque instant, de la renseigner sur l’agonie de cette malheureuse armée.


Samedi, 8 janvier.

Sous l’influence de Raspoutine et de sa bande, l’autorité morale du clergé russe s’avilit de jour en jour.

Un des faits récents, qui ont le plus choqué la conscience des fidèles, est le conflit que la canonisation de l’archevêque Jean de Tobolsk a soulevé, l’automne dernier, entre l’évêque Varnava et le Saint-Synode.

Il y a deux ans et demi, Varnava n’était qu’un moine ignare et crapuleux, quand Raspoutine, son ami d’enfance, son joyeux compagnon de Pokrowskoïé, eut la fantaisie de le faire élever à l’épiscopat. Cette promotion, que le Saint-Synode avait courageusement combattue, ouvrit l’ère des grands scandales religieux.

Or, à peine investi de sa haute dignité, Mgr Varnava conçut l’idée de créer dans son diocèse un lieu de pèlerinage, qui servirait à la fois les intérêts sacrés de l’Église et ses intérêts personnels. Les pèlerins afflueraient certainement, les dons aussi ; car les miracles ne manqueraient pas. Raspoutine avait tout de suite aperçu les beaux résultats qu’on pouvait espérer de cette pieuse entreprise. Il estima néanmoins que, pour rendre les miracles plus certains, plus abondants, plus merveilleux, on devrait se procurer des reliques neuves, les reliques d’un nouveau saint ou, mieux encore, les reliques d’un saint canonisé tout exprès ; il avait, en effet, souvent observé que les nouveaux saints aiment à faire montre de leur puissance thaumaturgique, tandis que les vieux glorifiés semblent n’y plus éprouver aucun plaisir. Ces reliques neuves, on les avait précisément sous la main : c’était le cadavre de l’archevêque Jean-Maximowitch, mort en odeur de sainteté à Tobolsk, en 1715. Mgr Varnava engagea immédiatement la procédure de canonisation ; mais le Saint-Synode, ayant pénétré tous les dessous de