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avec de tels contrastes, de par sa race et son enfance ensoleillée dans les rues de Marseille ?

Mais, d’autre part, ce « discours » académique prépare déjà pour lui l’atmosphère où s’épanouira Cyrano, où fleuriront les grâces charmantes de la Journée d’une Précieuse. Il est obligé de l’avouer lui-même, quand il demande qu’on lui pardonne « une comparaison un peu subtile en songeant que ce n’est point impunément tout à fait, sans y gagner quelque recherche et quelque préciosité, qu’on lit l’Astrée d’Honoré d’Urfé. »

Surtout quand on le lit à la Bibliothèque de Marseille, où se trouve « l’édition de Toussaint de Bray qui porte la date de 1610. » En cette même Bibliothèque, au mois de février 1919, le cercueil d’Edmond Rostand était exposé à la piété de ses compatriotes, à l’endroit même, où, trente-trois ans plus tôt, le poète de Cyrano se formait à la lecture de l’Astrée. Il est de telles coïncidences dans les belles vies des poètes, qui, selon le mot célèbre, réalisent dans leur âge mûr une pensée de jeunesse.

Celui-ci déjà voyait les héros d’Honoré d’Urfé « madrigaliser » à ravir ; déjà il s’initiait aux plaisirs de l’Hôtel de Rambouillet, à « cet art si essentiellement français de gaspiller l’esprit, de le mettre en monnaie courante, de l’éparpiller aux quatre coins d’un salon, avec une grâce désinvolte, comme si on en était trop riche, d’assaisonner les moindres paroles de cette denrée si rare. » C’est là qu’il rêva « le demi-jour de la chambre bleue d’Arthénice, de ce sanctuaire où flotte le parfum discret de toutes les vertus mondaines, au milieu des jolies femmes et des fleurs, » tandis que « chacun s’efforce, suivant un mot d’alors, d’épurer sa flamme et de chercher en tout le fin du fin. »

« Et que le fin du fin ne soit la fin des fins, » dira Cyrano à Roxane…

C’est dans l’Astrée que ce jeune homme de Marseille voit soupirer le beau Céladon, « qui aime à l’italienne, j’allais écrire, à la provençale, » ajoute-t-il justement.

Mais ce n’est pas avec une moindre finesse qu’il sait comprendre l’œuvre de Zola, qui veut être le miroir de la société moderne, mais qui pourtant en exagère les vices et les défauts, en laissant de côté toutes les vertus et les bienfaits. « Il exagère, il exagère toujours, dit-il de Zola, c’est là son maître défaut, celui où se trahit le Provençal. » Et tout en rendant justice à sa