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REVUE LITTÉRAIRE

L’AMOUR ET SES PHILOSOPHES[1]

Il n’y a rien de si absurde qu’un philosophe ne l’ait dit ; et ce qu’a dit un philosophe, cent philosophes le répètent : c’est ainsi que se forment les écoles. En général, ce n’est pas dangereux, si les philosophes se tiennent dans la métaphysique, où les bonnes gens ne vont pas. Qu’ils démontrent tant qu’ils voudront la non-existence du monde extérieur, les bonnes gens ne continuent pas moins à vivre parmi les apparences tout de même qu’en pleine réalité. Pareillement, les mathématiciens multiplieront à leur gré les dimensions de l’espace : nos plus gros personnages se borneront à emplir les trois dimensions d’ici-bas.

Les philosophes ne sont redoutables que si, descendant de leur ciel admirablement inaccessible vers nous et nos humbles misères, ils embrouillent de leur idéologie nos crédulités, nos coutumes, nos préjugés et, autant dire, les opinions justes ou opportunes que nous devons à l’usage et à l’expérience de nos prédécesseurs. Certains problèmes, et qui étaient résolus, redeviennent douteux : certains problèmes que notre vie quotidienne suppose résolus depuis longtemps. Or, dites à des amoureux, s’ils vous écoutent, dites-leur qu’il il y a un problème de l’amour et qui n’a point fini d’alarmer les philosophes : ils souriront ; mais ils souriaient déjà. L’humanité a le bon esprit, la charmante sagesse ou l’heureuse étourderie de vivre comme si tous les problèmes étaient résolus. Autrement, et puisqu’il y a un problème de l’amour, elle serait fort désœuvrée ou, à la rigueur, serait morte.

  1. Les Utopistes de l’amour, par M. René de Planhol (librairie Garnier).