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À quoi Marquet, le « grand bâtonnier » des fouaciers, celui qui portait aux processions le bâton de la confrérie, répondit :

« Vraiment, tu es bien acrété, ce matin ! Tu as mangé hier soir trop de millet ! Viens ça, je te baillerai de ma fouace ! »

Et comme Frogier s’approchait en toute simplicité, tirant déjà un onzain de sa ceinture, il lui donne de son fouet sur les jambes si rudement que les nœuds y apparaissaient ; puis veut s’enfuir ; mais Frogier, criant : Au meurtre ! lui jette une grosse trique qu’il avait sous le bras, et l’atteint avec tant de force que Marquet tombe de sa jument plus mort que vif.

Cependant des métayers qui écalaient des noix auprès de là accourent, munis de leurs longues gaules, et se mettent à battre les fouaciers comme seigle vert. Et les autres bergers et bergères, venus au cri de Frogier, de les cribler à leur tour de pierres avec leurs frondes. Finalement on s’empare de quatre ou cinq douzaines de fouaces, qu’on paye d’ailleurs au prix convenu, à quoi l’on ajoute un cent de noix et trois panerées de raisins. Les fouaciers aident Marquet, qui était vilainement blessé, à remonter sur sa bête, et s’en retournent à Lerné, non sans menacer ferme ceux de Cinais et de Seuilly. — Cela fait, les bergers et bergères firent chère lie avec ces fouaces et de beaux raisins, et se rigolèrent ensemble au son de la belle bouzine, ou cornemuse, se moquant de ces beaux fouaciers glorieux qui avaient trouvé male encontre par faute de s’être signés de bonne main le matin ; et, avec gros raisins chenins, étuvèrent les jambes de Forgier mignonnement, si bien qu’il fut vivement guéri.

C’est par cette scène « vécue, » par ce tableau d’une rixe qui a peut-être eu réellement lieu, comme on va voir, que débute dans Gargantua la guerre picrocholine, et elle continue par des péripéties qui sont tout à fait vraisemblables. Certes, on a moins accoutumé de chercher de la vraisemblance dans ce joyeux récit que des propos de haute gresse et des plaisanteries horrifiques ; il suffit pourtant d’écarter celle riche floraison pour découvrir, non seulement des souvenirs personnels de l’auteur, mais une intrigue fort bien ordonnée et toute une trame extrêmement réaliste. C’est ce que la plus brève analyse suffira à faire apparaître.

La paroisse de Lerné comprenait des terres acensées à des paysans et dix à quinze fiefs, dont le plus important était celui