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ration » dont nous venons de parler, maître François a-t-il voulu désigner les amis et alliés de sa famille ou bien les marchands syndiqués ? Les documents officiels ne nous offrent que des noms, des dates, des faits sans couleur, et leur sécheresse ne permet malheureusement pas de se faire une image véritablement vivante de ce procès même, ni de ceux qui s’y sont trouvés mêlés. Pourtant, il est clair que nous touchons là à la réalité que Rabelais a si joyeusement transposée, et les contemporains ne s’y sont pas trompés. Nous avons cité les témoignages de Bouchereau et de Ménage qui ont recueilli la tradition du pays ; en voici un, plus indirect, mais au moins aussi intéressant, puisqu’il vient du fils même de Picrochole.

Parmi les nombreux enfants de Gaucher, l’un d’eux, en effet, Charles de Sainte-Marthe, vécut à la cour de Marguerite de Navarre. Ce fut un esprit élégant et orné, écrivain excellent, poète, humaniste, philosophe, — platonicien, naturellement, — fort incliné vers la Réforme, bref tout à la dernière mode intellectuelle du temps. Or, en 1549, paraissait le Theotimus, sive de tollendis et expungendis malis libris, ouvrage d’un moine de Fontevrault, Gabriel de Puy-Herbault (Putherbeus en latin), œuvre la plus réactionnaire, la plus ennemie de la Renaissance, la plus acharnée contre toutes les idées libérales dont Sainte-Marthe était le champion. Néanmoins, à la fin d’un volume publié par celui-ci en 1550, In psalmum nonagesimum pia admodum et christiana meditatio, on trouve une belle épitre, Ca. Sanctomarthamus F. Gab. Putherbeo sodali Fontebraldensi, où le fils de Gaucher adresse au « très docte et très humain » Puy-Herbault les éloges les mieux sentis. — Pourquoi ? C’est bien simple. Ouvrons le Theotimus aux pages 180-183 :

« Plaise à Dieu que Rabelais soit auprès d’eux [les théologiens de Genève] ! — y lit-on. — Quel Timon a médit davantage de l’humanité ? Faiseur de bons mots, vivant de sa langue, parasite, on le supporte à la rigueur. Mais se damner en même temps, chaque jour ne faire que se soûler, s’empiffrer, vivre à la grecque, flairer les odeurs de la cuisine, imiter le singe à longue queue, comme on le dit partout, et de plus souiller de misérables papiers par des écrits infâmes, vomir un poison qui se répand de long en large dans tous les pays, lancer la calomnie et l’injure sur tous les ordres indistinctement, attaquer les honnêtes gens, les pieuses études, les droits de l’honneur, en