Page:Revue des Deux Mondes - 1921 - tome 6.djvu/672

Cette page a été validée par deux contributeurs.

invasions normandes et des exactions féodales. Mais, à partir du XIVe siècle, on retrouve sur la Loire la trace des anciens Nautae Ligerici : tous les marchands trafiquant des denrées et marchandises transportées sur le fleuve et ses affluents, tous les nautoniers et « voituriers par eau » font partie d’une grande association, où ils sont engagés par cela même qu’ils ont entrepris le commerce nautique, de même que par le seul fait de leur habitation ou de leur indigénat, les habitants d’une commune aujourd’hui en deviennent membres ; — c’est la Communauté des marchans frequentans et marchandons sur la rivière de Loire et autres fleuves navigables descendans en icelle, depuis le commencement que les dites rivières sont navigables jusques à la mer ; ainsi la nomme-t-on au temps de Rabelais.

Dans chaque ville, les marchands et nautoniers forment une corporation qui envoie des députés à l’assemblée générale de l’association qui se tient à Orléans. Tous les deux ou trois ans, vers la fin d’avril, on voit ceux-ci arriver à cheval ou sur leurs mules, accompagnés d’un homme de suite ; leur assemblée écoute les rapports de ses fonctionnaires élus et de son procureur général, puis les consultations sur les procès en instance, que lui donnent des avocats et des gens de loi qu’on fait venir de Paris au besoin ; elle approuve les comptes, nomme les mandataires qui la représenteront jusqu’à sa prochaine séance, puis les délégués des villes se séparent… Telle était la puissante organisation à laquelle se heurtait Gaucher de Sainte-Marthe.

Il fallait qu’il fût puissant lui-même, et riche, et aussi confiant que Picrochole, merveilleusement obstiné enfin, pour soutenir comme il fit une cause aussi manifestement injuste que la sienne. Apparemment était-il aidé par l’abbesse de Fontevrault, dont il était le médecin et qui l’appréciait fort, puisqu’elle lui permettait de loger souvent à l’abbaye avec sa famille ; puisqu’elle lui avait alloué Lerné, sa vie durant ; et que, mort, le corps de Gaucher fut enseveli dans le chœur de l’église… Quoi qu’il en soit, l’instance, engagée en janvier 1528, durait encore près de dix ans plus tard.

Pourtant, ce n’était pas que les adversaires de Sainte-Marthe missent de la mollesse à le poursuivre. En 1529, le Parlement envoie un de ses conseillers pour mener une enquête : « Monsr Maistre Christhofe Hennequin, » qu’aussitôt assiègent les deux parties. Les délégués de la Communauté essayent de