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En juillet 1907, dans une étude sur la fameuse lettre « À Monsieur le Baillif du baillif des baillifs, » M. Henri Clouzot rappelait un procès qu’eut à soutenir la communauté des marchands de la Loire contre Gaucher de Sainte-Marthe : « Il s’agissait des pêcheries qui gênaient la navigation de la Loire sur le petit bras de la rive droite, en face de Saumur, et qui appartenaient à Gaucher comme seigneur du Chapeau. » Ayant lu cette phrase de notre collaborateur, M. Abel Lefranc entrevit la vérité ; mon cher maître, qui s’en irait au bout du monde s’il espérait y trouver du nouveau sur Rabelais, n’eut cette fois qu’à se rendre aux Archives d’Orléans et d’Angers, et voici ce qu’il y découvrit.

Le fief du Chapeau, domaine préféré des Sainte-Marthe, où Louis avait fait construire un château en 1510, occupait une longue étendue sur la rive droite de la Loire, en face de Saumur. En amont, sur la même rive, en face de Montsoreau, Antoine Rabelais avait hérité de sa mère, Andrée Pavin, la seigneurie de Chavigny-en-Vallée, comprenant notamment des terres au bord du fleuve et des pêcheries. Les deux domaines, que séparait un seul village, Villebernier, n’étaient éloignés que d’une dizaine de kilomètres, et Sainte-Marthe se trouvait encore voisin des Rabelais à Lerné, qu’une lieue et demie à peine sépare de La Devinière. Enfin les documents nous montrent Antoine Rabelais remplaçant Gaucher en qualité de sénéchal de Lerné de 1507 à 1527 environ. Il est donc certain que le seigneur du Chapeau et celui de Chavigny se connaissaient et qu’ils furent en bons termes pendant une vingtaine d’années. Se querellèrent-ils ? Et pourquoi ?

Bouchereau, déjà cité, qui a recueilli la tradition locale à la fin du XVIe siècle ou au début du XVIIe, conte que maître François a romancé un procès de certains habitants de Lerné contre l’abbaye de Seuilly : les premiers auraient fait saisir la vendange, à quoi se serait opposé « frère Jean, » le procureur du couvent. Il est possible ; et en ce cas, Antoine Rabelais, voisin des moines à La Devinière, les aurait sans doute aidés de ses lumières : inde irae. Malheureusement, on n’a retrouvé jusqu’ici aucune trace de ces procédures. Ce n’est point une raison qui nous permette d’affirmer qu’elles n’ont jamais eu lieu, et il est possible que Rabelais ait voulu joyeusement et fantaisistement représenter ce procès, tout au moins dans le