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Comme un oiseau bavard il jase,
Et ce sont des gazouillements,
D’invraisemblables tours de phrase,
Des parlers, des chuchotements,
Des mots qu’il façonne à sa guise,
Des diminutifs inédits,
Une petite langue exquise,
Un vrai jargon du Paradis[1]


Auprès du berceau de ce poète précoce, le père rêve longuement ; il « dialogue avec le Bon Dieu, » il suppose que Dieu lui demande quel don il souhaite pour son fils, le savoir infini, l’amour du beau, le courage, la raison, la vertu, et il répond : « Mon Dieu, donnez-lui la bonté. »

La bonté, c’est la vertu qu’il lui recommande avant toute autre ; auprès de ce petit lit doré d’enfant riche, il songe aux taudis où croupissent les enfants pauvres, ceux « qui n’ont pas d’enfance, » qui ne connaissent que « le gite dur, sans air, la pâle faim, les pleurs de la mère et la brutalité du père, quand il rentre, le soir, ivre du cabaret » et, penché sur l’enfant qui ne peut pas comprendre encore, il dit :


Mon fils, mon bien-aimé, lorsque tu seras homme,
Quand tu liras ces vers, où, tremblant, je te nomme,
Souviens-toi que ta vie eut un rose matin,
Une aube claire, et pense à ceux dont le Destin
Est depuis le berceau pénible, triste, sombre,
Qui n’ont pas eu d’amour et n’ont connu que l’ombre ;
Souviens-toi que ce sont tes frères… Va vers eux…


Ne vous semble-t-il pas déjà entendre le poète de la Princesse lointaine :


Aimez-les, ces obscurs, à la simple ferveur,
Ces dévouements actifs qui portaient le rêveur…


ou celui de Chantecler :


Car dans les matins gris, où tant de pauvres bêtes
S’éveillant sans y voir, n’osent croire au réveil,
Le cuivre de mon chant remplace le soleil.


ou le conseil de Pif-Luisant :


Notre premier devoir est de chanter pour tous[2].

  1. Les Sentiers Unis, 1885.
  2. Les Sentiers Unis, 1885.