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excessive, les luttes électorales ont toujours été fort ardentes et le parti radical-socialiste très vigoureux dans sa polémique.

Il comptait alors dans ses rangs un homme d’esprit, Pierre Bertas, excellent Félibre, Provençal provençalisant, « rouge du Midi, » comme Félix Gras, qui alliait la culture littéraire à la fougue socialiste. S’attachant aux pas d’Eugène Rostand, au cours des réunions électorales, au moment où le poète-candidat prenait la parole, Pierre Bertas s’écriait vigoureusement : « Taisez-vous ! Vous avez assassiné Catulle ! », voulant évidemment indiquer par-là qu’il n’aimait point la traduction dont j’ai fait plus haut l’éloge. C’était son droit, mais la formule était d’un raccourci redoutable, et l’interruption, désagréable au poète-traducteur, fut, parait-il, en outre funeste au candidat. Car le public, qui se pressait en de telles réunions, connaissant fort peu ce Catulle, crut assez vite qu’il s’agissait d’un contemporain et d’un concitoyen, si bien qu’au bout de quelque temps, sitôt qu’Eugène Rostand apparaissait à la tribune populaire, l’assemblée houleuse l’accueillait par des cris répétés : « Assassin ! assassin ! Il a assassiné Catulle ! » De temps en temps, un curieux s’informait : Qu’es, aquéu Catullo ? Ce que c’était que ce Catulle, on ne le savait pas au juste, mais un fait subsistait, indubitable : Eugène Rostand avait assassiné quelqu’un. L’assassin de Catulle, mis en minorité, fut renvoyé par son collège électoral à ses études, qui de l’avoir perdu devaient lui rester plus chères encore[1].

Il se consola par la poésie même, et pour ne pas se résigner à n’être que le plus habile des traducteurs, il voulut écrire des vers, où passât le trop-plein de son esprit et de son cœur. Au reste, dès longtemps, de nouveaux motifs d’inspiration s’étaient levés autour de lui. Les émotions de la paternité s’éveillaient dans son cœur autour d’un berceau où souriait d’abord une petite fille, et puis ce jeune Edmond, qu’il appelait en vers du charmant diminutif d’Eddy. C’est pour lui qu’il trouve ses vers les plus gracieux et les plus attendris :

Il me faut, autour de la page
Où j’écris, son rire joyeux,
Son pas léger, son gai tapage,
Le rayonnement de ses yeux :

  1. Voir : Corticchiato, le Parti bonapartiste à Marseille après 1870. Marseille, 1921.