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La formule du mandat répond d’ailleurs merveilleusement à notre passé en Orient, comme à l’idée que nous devons nous faire de notre avenir dans cette partie du monde. Depuis les Croisades, notre nation n’a jamais recherché dans le Levant de domination territoriale. Elle y est apparue parfois armée, mais, avec Bonaparte, parce qu’elle devait mener sur ce théâtre comme ailleurs une guerre dans laquelle elle était engagée partout, ou, en 1860, comme soldat du droit et redresseur de torts. Son domaine n’y était pas territorial, mais intellectuel et moral : il lui était assuré non seulement par le souvenir d’un passé prestigieux, mais encore par l’effet des œuvres de charité et d’enseignement qui ont le plus fait pour relever l’Orient. Aucune domination matérielle n’était nécessaire à cette emprise, et la guerre n’a rien changé sur ce point aux fondements de notre politique dans le Levant, où nous n’avons pas plus aujourd’hui qu’hier d’Empire à gagner ou à défendre. Notre politique n’eût pas souhaité autre chose que de maintenir, en l’améliorant, l’Empire ottoman qui avait été un cadre si favorable à l’expansion de notre influence. Mais la Turquie s’était lancée dans la guerre; il ne dépendait pas de nous de lui en éviter les conséquences, et il nous fallait adapter notre politique à des circonstances nouvelles, si nous ne voulions pas que la victoire elle-même, payée plus cher par nous que par aucun de nos alliés, eût pour résultat d’effacer notre empreinte de pays où elle est si profondément marquée. Du moment où des États nouveaux devaient surgir sur les ruines de l’Empire ottoman et se développer à l’abri d’une tutelle étrangère, il nous fallait revendiquer cette tutelle sur une partie de ces nouveaux venus dans la famille des nations. Il nous fallait devenir les mandataires sur la région où notre emprise a été particulièrement forte et où chacun s’attendait à nous voir continuer, sous des formes nouvelles, l’effort d’éducation que nous y avions depuis longtemps fourni. L’énoncé d’un chiffre résumera la part que nous avions à la formation intellectuelle de la Syrie : à la veille de la guerre, il y avait 40 000 élèves dans les écoles de ce pays où l’on enseignait le français et qui étaient dirigées en majorité par nos compatriotes. Le français était plus encore, là, que dans les autres régions de l’Orient, la seconde langue