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idole placée sur un des plus beaux piédestals qui jamais ait soutenu grandeur humaine; mais mon âme réprouvera toujours celui sur lequel tu veux te hisser, mon pauvre cher, et cette âme ne se trompe pas sur la valeur des choses, elle devine les lieux où se trouve le beau. Comme Cassandre j’ennuie, peut-être, par mes répétitions, quoique je m’attende à ce qu’elles aient le même sort que les siennes, mais ma tendresse vraie est aussi courageuse que sincère.

En relisant ma lettre, je m’aperçois que tu pourrais peut-être mal interpréter la phrase à laquelle j’ai mis une croix[1]; tu pourrais y voir un reproche, et je ne veux pas que tu y sois trompé. Non, mon chéri, elle ne renferme rien qu’un doux regard sur le passé où tant de fois nous avons été plus amoureux que sages

Mais à toi, ami, ah ! à toi qui seras toujours un être bien-aimé, à toi dont la chère présence m’apportera toujours joie, plaisir et bonheur, comme l’absence me donnera ennui, tristesse et chagrin, à toi mille tendresses d’âme, le serrement de main le plus confidentiel, et au chéri, mille becs pleins d’amour.


X

Fragment.

Oui, deux ans en arrière, huit jours de la Grenadière, et la mort me vaudrait mieux que toutes les idées d’un avenir froid. Avant de te connaître, j’avais déjà une certaine dose de chaleur répandue dans toute ma personne, mais il me semble qu’elle n’y était qu’en germe. Oui, chéri, ce sont tes rayons vivifiants qui ont fait naître tant de choses qui, pour la plupart, seront désormais en trop chez moi. Cependant il ne se passe pas de jour où je ne te rende grâces, tu m’as donné mille jouissances inconnues avant toi, tu m’as appris à sentir, à voir; aussi chaque soir ce magnifique coucher de soleil que je vois de mes fenêtres et que tu te rappelles, n’est-ce pas? est pour moi un spectacle dont je te remercie.

  1. La croix dont parle Mme de Berny est placée au milieu de la phrase de cette lettre commençant par : « Cependant, je savais que ta gêne… » et finissant par ces mots : « Calculer avec nos bourses. »