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si bavard, toi si communicatif ! Rougirais-tu donc d’avouer ta tendresse ? si tu avais pu avoir l’ombre de cette pensée, sans reprendre à l’instant ta liberté, je ne t’estimerais pas. Ne viens pas, pour t’excuser, me dire que la délicatesse te défend de me compromettre, chéri. A cet égard toute la famille s’est si mal conduite envers moi, qu’elle ne t’a laissé d’autre moyen pour mettre mon honneur à couvert, que celui d’avouer noblement ton chaste et pur sentiment, et d’inspirer alors pour la femme qui t’adore un genre de respect dont elle aurait été plus fière que de celui perdu. — Mais tout perdre à la fois, c’est trop !

Mon bien-aimé, j’ai eu plus d’une fois a souffrir par toi à ce sujet-là ; va, mon gentil, ton amour est bien grand, mais rappelle-toi ce que je t’écrivais naguère sur les compensations ; puis, serre-moi sur ton cœur aimant.

Je pars d’ici le 24, c’est-à-dire mardi prochain. Antoine me force à partir plus tôt que je ne l’aurais voulu. Peut-être laisserai-je Laure, et peut-être la viendrai-je reprendre, mais ce ne sera pas sans t’avoir vu, après être restée à Paris le temps nécessaire pour mes affaires. J’irais passer à la Bouleaunière le temps que tu resteras à Angoulême. Puis je reviendrai à Paris quand tu y reviendras, car il faut que je te voie, puis, je reviendrai ici prendre Laure ; je demeurerai à Paris rue de Crébillon, 3, dans le petit appartement d’Alexandre. Ainsi, jusqu’à nouvel ordre, envoie-moi mes lettres à cette adresse.

Sais-tu que j’aime mieux te savoir près d’une femme raisonnable et à laquelle je suppose une belle âme, que près de certaines folles, égoïstes, et au jugement faux, qui, par un malheur de ta destinée, ont plus d’influence sur toi que qui que ce soit. Mais la folie est plus attrayante que la raison, et, poète, il faut que tu en subisses toutes les conséquences. Par exemple, tes opinions en politique n’ont commencé à prendre un autre port que depuis les longues et interminables conversations de la duchesse d’Abrantès. Le Metternich y assistait probablement toujours, lui ou son ombre. — Que ta vanité d’homme ne s’effarouche pas, chéri : aucun de vous, même le plus supérieur, ne peut échapper à l’influence féminine, et la plus heureuse d’entre nous à ce mauvais jeu est celle qui attaque à dessein votre côté faible. — Ici permets-moi un hélas ! car j’aurais voulu voir mon