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Plein de vagues élans, épris à la folie
De beaux vers et de l’ombre au bord d’un clair ruisseau,
Joyeux de voyager dans la lune, là-haut…


Déjà, comme Cyrano !… Enivré aussi des beaux contes de fées, évoquant le Petit Poucet, la Belle au Bois Dormant ou Cendrillon que Jean Veber un jour fixera sur les murs d’Arnaga, enivré de ce Shakspeare que Sylvette plus tard commentera pour Percinet, enivré surtout de Musset, qu’il adore comme le poète « peut-être le plus grand, du moins le plus humain, » et qu’il évoque en termes enthousiastes et mélancoliques :


Hélas ! qui nous rendra ton esprit et ton âme,
Cette grâce, ce rêve exquis, ces jets de flamme
Illuminant soudain un caprice léger,
Ta langue vive, sobre et fortement trempée,
Tes coups d’aile au milieu d’une folle échappée
Et ces cris pénétrants trouvés sans y songer…


Qui donc ?… Mais quelqu’un qui n’est pas encore né et qui naîtra bientôt après…

Tel, Eugène Rostand dans cette Marseille du Second Empire, où la vie est facile, chante la jeunesse, l’amour et la beauté ; mais sous cette fantaisie apparaît cependant un esprit déjà grave et viril. Il répudie la morbidesse de Baudelaire, il fait appel à la charité en faveur des ouvriers malheureux, il demande pour eux « l’aumône de la main et l’aumône du cœur ; » il invoque le saint travail qui guérit l’âme « des lâches regrets ou des vagues désirs. » Esprit sain et droit, qui bientôt va se donner tout entier à l’œuvre sociale, ne gardant pour la poésie que de trop rares instants.

Cependant, il n’y renoncera point tout à fait ; en 1876, il publie encore des Poésies simples, où se retrouvent des notations assez semblables aux premières. Mais, excellent élève, prix d’honneur du lycée de Marseille, il a gardé de ses humanités le plus vif souvenir. Parmi tous les poètes latins, celui qui l’a séduit le mieux par sa fantaisie et son amour de l’amour, c’est ce Catulle qu’il compare lui-même à Musset dans un discours académique. Et voici qu’il a l’idée de traduire ce Catulle en vers français. Son fils évoquera plus tard dans les Musardises cette maison des Pyrénées, cette villa de Luchon où, évadé de Marseille pendant les mois d’été, Eugène Rostand