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présence, la douce présence, et les douceurs et les plaisirs suaves qui en découlaient, il faut dire adieu à tout! et, quand je reviendrai, peut-être auras-tu changé! Ton frère ne saura jamais l’étendue de mon sacrifice, non seulement par rapport à la violence de ma passion, mais à l’avenir des obligations sacrées en jeu que je trahis[1].


XII

[Villeparisis,...] 1822.

Ah! ma chère Laure, ne nous abusons plus; les pleurs qui roulaient dans tes yeux, la souffrance qui se déployait sur ton visage, et le combat intérieur dont les vestiges apparaissaient dans ta noble conduite, prouvent que je te serais odieux si je ne tenais pas à ma promesse. De combien s’en est-il peu fallu que je la violasse, et si la douleur infernale que je ressentais et que je t’ai cachée avait duré, je fusse devenu criminel.

Oh ! maintenant, je vais mettre autant de soins à te taire combien je t’aime, que j’ai mis de recherches à le faire voir; je couvrirai mon âme, chagrine et navrée, de la robe brillante de la joie, j’abaisserai mes paupières, je voilerai ma pensée, j’amortirai le feu de mes expressions; je tâcherai d’être égal, simple, pur, tranquille comme un ami.

Voyons, prenons-en l’allure, et commençons par te gronder, te gronder toi seule, car, sans l’indulgence, il n’est point de vertu, et, me dispensant alors d’interroger ta vie passée, et de jeter le blâme sur celui qui veut t’ètre toujours cher, et qui, s’il me connaissait, ne m’en voudrait jamais, occupons-nous du présent et de l’avenir.

Notre conscience ne nous reproche rien, et nous pouvons regarder en arrière sans rougir; quant à l’avenir, il est entre les mains du hasard. Mais ce à quoi nous devons prendre garde, Laure, c’est aux apparences, qui, jusqu’ici, je dois le dire, nous condamnent entièrement et réfléchis que, vertueux, c’est un grand malheur que d’être signalés comme des criminels; bien que notre propre cœur nous console, on n’en reste pas moins accablé; et criminels, c’est un devoir, même une

  1. L’autographe de ce brouillon fut écrit au moment où Balzac composait Wann-Chlore. Il porte la trace de différents essais d’orthographe pour ce nom S. L. Wan-Chlore, écrit en 1822, n’a paru qu’en 1825.