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formelle éclate plus triomphalement dans l’insignifiance de la matière.

Quelques écrivains d’extrême-droite, catholiques et monarchistes, quelques écrivains d’extrême-gauche, socialistes et révolutionnaires, sont seuls à ne pas pratiquer aujourd’hui, la religion de l’art au-dessus de tout, et font servir sans scrupule leur talent à la diffusion de leurs doctrines mystiques ou sociales. Il est vrai qu’ils prétendent exprimer, et en effet, le plus souvent, ils expriment, dans leur littérature de parti, la nécessité intime de leur tempérament personnel. Ils ne reçoivent pas le mot d’ordre d’une autorité extérieure, mais ils annoncent au monde le besoin profond de leur cœur, dont ils font la loi du monde. Et voilà pourquoi l’art ne les renie pas.

Mais, d’une façon générale, la doctrine de l’art pour l’art n’est plus contestée, si l’on entend par-là que le but de l’écrivain, comme celui du peintre, du sculpteur et du musicien, est de créer une œuvre belle, et que, ni l’intérêt social, ni la morale, ni même la vérité n’ont rien à exiger de l’artiste au détriment de la beauté. A la condition d’être sincère, il a le droit de faire ce qu’il veut; et, dans la sincérité artistique s’inclut, plus facilement encore que la dévotion doctrinaire, le jeu capricieux de la fantaisie.

Dans ce culte farouche de l’art, quelques écrivains s’imaginent que, l’art moral étant une chose en soi odieuse, l’immoralité par elle-même confère à l’œuvre un caractère d’art. D’autres ne font pas de différence entre travailler sur commande, livrer à volonté selon les partis au pouvoir, de la poésie nationale ou anti-patriotique, religieuse ou athée, — ce que jamais le véritable artiste évidemment ne doit faire, — et saisir en soi-même, vivantes et brûlantes, pour les éterniser par l’art, les émotions et les passions collectives de leur temps ou de leur pays. Il y a eu de jeunes poètes qui se sont demandé si la Patrie pouvait être un objet de poésie. Elle ne l’est pas évidemment pour ceux qui se posent cette question; mais les mêmes ne doutaient pas que les menus accidents de leur sentimentalité égoïste, et tous les spasmes de leurs nerfs, ne fussent la digne matière de l’art éternel.

Quels que soient les abus et les erreurs, il semble bien que l’on s’achemine vers une solution juste et large du principe excellent de l’indépendance de l’art.