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Les cénacles sont fiers d’avoir coupé la communication avec le public. On y érige en maxime qu’un artiste ne peut plaire au public qu’en se dégradant, et qu’on trahit l’art en cherchant à mettre de l’intérêt dans une œuvre. Pour ne pas devenir le fournisseur servile des bas appétits de la foule, on renonce à satisfaire les besoins d’idéal et de beauté dont tout de même le public, plus ou moins confusément, est tourmenté. En dédaignant de travailler pour lui, on renonce à l’élever à soi, et on le réduit à ne consommer que la production vulgaire dont on lui reproché de se contenter.

Il est, sans nul doute, excellent du point de vue de la technique, que le littérateur se voue à la littérature, qu’il soit un professionnel. L’amateur est la peste de tous les arts ; il est à peu près incapable de créer une forme précise et serrée ; sa facture est presque inévitablement lâche. Chez les professionnels, au contraire, il n’est pas rare qu’on atteigne un degré élevé de perfection technique. La rançon de cet avantage, c’est que la spécialisation littéraire, comme toutes les spécialisations poussées trop loin, appauvrit et rétrécit l’esprit qui s’y renferme.

Il faut avouer qu’on trouve, chez un certain nombre de jeunes écrivains qui sont de très habiles ouvriers, une fâcheuse pauvreté d’idées et d’expérience qui fait que leurs ouvrages manquent d’humanité. Enfoncés dans le souci exclusif de leur métier, absorbés dans l’étude et dans la discussion entre camarades des problèmes de technique, ils n’ont guère d’autre matière, le jour où ils veulent faire un livre, que des amours d’étudiant, des plaisirs de rapin, des conversations de brasserie, et ce qu’ils ont pu voir de l’humanité par la fenêtre de leur chambre. Ils ne se doutent pas de l’enrichissement d’expérience, de l’élargissement d’intelligence qui résulteraient pour eux d’avoir fait autre chose que de la littérature, d’avoir une profession active qui les mêlerait au flot humain et qui ferait circuler en eux les passions et les ardeurs de la vie contemporaine[1]. Malheureusement, ils sont contents de leur pauvreté, persuadés que l’art est tout entier dans la forme, et que la beauté

  1. Loti, Farrère, Vedel, marins; Estaunié, ingénieur; Mlle Bodève, employée de commerce, n’ont pas dû seulement à leurs professions des sujets, mais une mentalité, des développements et des réactions de sensibilité, en un mot une part de la qualité originale de leur talent.