Page:Revue des Deux Mondes - 1921 - tome 6.djvu/568

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’aspirations contradictoires. Ils n’ont guère en commun que la passion des lettres, l’amour de la gloire, le mépris du bon public, et la prétention d’apporter des techniques nouvelles qui dispensent de connaître les techniques éprouvées. On rejette volontiers les gloires incontestées que trop d’admirations banales ont comme défraîchies. On aime à donner son culte à un auteur rare, vivant ou mort, qui n’ait pas la tare d’un succès trop brillant, et dans l’ombre duquel on ne se sente pas transir.

Dans ces foyers concentrés et clos les vocations s’exaltent. De beaux désintéressements arrivent à éclore, et parfois à durer : un pur dévouement aux choses éternelles, aux idées, à l’art. Les tentations vulgaires de l’industrie littéraire perdent de leur force ; la haute conscience artistique du milieu fait pression sur les individus faibles qui se laisseraient aller à fabriquer les articles de grosse vente. La sensibilité esthétique s’affine. De la recherche commune sortent, ou peuvent sortir, des nouveautés heureuses ou fécondes. Le goût échappe à la tyrannie des bienséances mondaines comme à celle de la correction académique ; on est un peu trop porté dans ces chapelles à considérer comme un chef-d’œuvre ce qui n’a que le mérite d’effarer le public et de scandaliser l’Académie.

Il s’y développe par malheur, un esprit d’admiration mutuelle qui ne laisse presque aucune place à la critique sincère et aux conseils utiles, une habitude aussi de rivalité et de surenchère dans l’invention des fantaisies les plus bizarres. On se fait une habitude de chercher l’extraordinaire, l’exceptionnel, d’où l’on passe aisément à l’excentrique ; on définit le beau par la rareté, la singularité.

Là est le péril de délaisser les grands modèles admirés de tous ; on abandonne en même temps les voies larges où les grands écrivains du passé ont trouvé l’immortalité. On s’éloigne de la vérité universelle, de la beauté simple, qui ne manquent leur effet sur aucun esprit délicat ; et l’on va demander à de petits maîtres, artistes plus raffinés souvent, mais poètes moins humains, l’exemple d’une technique subtile à l’excès et d’une sensibilité insociablement personnelle. Tandis que Victor Hugo disait à son lecteur : « Quand je vous parle de moi, je vous parle de vous, » on s’applique à faire sentir au public que l’écrivain qu’on est n’a rien de commun avec celui qui lit, ni avec aucun autre homme.