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critique s’écriait : « Est-ce que les pages de notre histoire récente ne parleraient plus au génie de nos artistes ? » Le critique de 1819 fait écho à la plainte du ministre Bénézech en 1T96. Après la chute de l’Empire, comme avant son avènement, le beau idéal règne seul. À ce même Salon de 1819, il est vrai, une œuvre paraît, qui va échapper à sa tyrannie : le Naufrage de la Méduse. Les idées peu à peu changeront. Un jour viendra où l’on verra la critique tout entière et les artistes soutenir que l’Art doit observer et traduire la vie contemporaine, des types vivants et dans la nature ambiante. Mais de 1800 à 1815, un seul homme soutient cela : c’est Napoléon.

Il faut donc reconnaître qu’il y a eu un art de l’Empire, et que cet art est dû à l’Empereur, je veux dire tout autant, sinon plus, que l’art de la Renaissance est dû à Jules II, à Léon X ou à aucun des Mécènes de ce temps. Il n’a pas créé ses artistes, non plus que les Papes et les princes italiens n’ont créé les leurs, — et si ceux-ci ont eu plus de génie, leurs patrons n’y sont pour rien, — mais il a dirigé le peu de génie qu’il a trouvé autour de lui dans la voie où il pouvait le mieux déployer ses forces. Il ne lui a pas fixé de lois esthétiques, mais il l’a libéré des lois de Winckelmann. À cette école française, qu’il trouvait fourvoyée par les Allemands dans la superstition la plus pédantesque et la moins compréhensive qui fut jamais des formes et des héros antiques, il a dit : « Nous sommes là, nous autres ! » et cela suffit. Il l’a fait rentrer dans le siècle et en France. L’Art tout entier, — Prud’hon excepté, — allait s’embabouiner dans la bonace des pastiches. C’est lui qui, d’un vigoureux coup de barre, l’a rejeté dans le grand courant de la vie.


ROBERT DE LA SIZERANNE.