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esthétique, on peut répondre en toute sûreté : ils auraient continué de faire ce qu’ils faisaient, parce que ce qu’ils faisaient répondait à la fois à leurs convictions esthétiques et au goût régnant ; cela rassurait leur conscience et leur assurait le succès. Il faut bien que rien ne fût capable de les en détourner, puisque, même mis sur la voie de l’art moderne, ils ne la suivirent pas. Ils ne la suivirent que contraints et forcés, tant qu’ils furent sous les yeux du maître. Et, encore, se retournaient-ils constamment, pour considérer d’un œil de regret les plats pastiches qu’il leur avait fallu quitter : Gros, sa Sapho se précipitant du rocher de Leucade, Gérard, sa Psyché recevant le premier baiser de l’Amour, Girodet, ses héros soulevés vers Ossian, Guérin, son Marcus Sextus, David, son Brutus ou son Léonidas. « Chaque fois que j’habille une figure à la moderne, disait Girodet, il me prend envie de briser mon pinceau ! » David faisait écho : « Je dessine avec soin une jambe, je vais y mettre de la chair ; il faut que j’y renonce pour la charger d’une grosse botte ! En vérité, un artiste du Pont-Neuf suffirait à remplir la moitié de mes tableaux. O mes Romains, mes Grecs, mes divinités d’Athènes, de Corinthe, ne sortez jamais de mon portefeuille ! » Et l’auteur des Mémoires où cette scène est racontée, mémoires publiés dès la Restauration, conservant donc bien encore l’empreinte laissée sur les esprits par l’époque davidienne, ajoute : « David et Girodet déploraient la tyrannie impériale. »

Gros, lui, ne la déplorait peut-être pas. Mais à peine cette tyrannie disparue, il retombait sous celle de Winckelmann. Quant à David, dès 1814, il reprend son Léonidas, longtemps relégué dans un coin de son atelier, et, plus tard, à Bruxelles, tout à fait libre, il exécute son plus mauvais tableau : Mars désarmé par Vénus, vraie tapisserie de l’exilé, où tous les vices du système éclatent. Quelle que soit, en effet, l’erreur ou l’absurdité d’une doctrine, tant que la sève monte chez un artiste, elle vivifie ses œuvres, en dépit de leur direction et de son parti pris. Mais avec le temps, le parti pris augmente et la sève tarit. Alors, dans un organisme affaibli, le venin de la fausse doctrine fait sentir tous ses ravages. Il y a de la vie dans les Horaces ; il y en a déjà moins dans les Sabines ; dans le Léonidas et le Mars, il n’y en a plus du tout.

David retourne donc à son erreur. Bien mieux, il adjure