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dont le modèle n’est pas visible dans la nature extérieure… « Voilà le grand mot lâché, le mot oublié aujourd’hui, mais qui égarera, pendant la fin du XVIIIe siècle et toute la première moitié au moins du XIXe, les esprits dupes des formules exclusives et arbitraires, comme les ont bernés depuis les mots de « réalisme, » de « primitif » ou de « sincérité. »

Une fois qu’on l’a trouvé, ce « beau idéal, » pierre philosophai et terme définitif de toute recherche, comme M. Ingres l’avouait sans détour, la raison commande de tout y ramener. Et, d’abord, les figures qu’on peint. Winckelmann n’a pas assez de sarcasmes pour tel artiste de son temps, qui avait donné à une Vénus une « physionomie française, » et pour toutes ces figures de nos maîtres du XVIIIe, affligées d’un si évident caractère de race, qu’ « on peut, sans être fort habile, reconnaître, pour chacune d’elles, la patrie de l’artiste qui l’aura faite. » Nous saisissons, là, dès sa racine, l’étrange axiome de David. Son reproche à Couder, trente ans plus tard, de faire français, n’était que l’écho du même Winckelmann. Celui qui a rompu la tradition française de notre délicieux XVIIIe siècle, ce n’est pas un Grec, c’est un Allemand.

Aussi, ne faut-il point se borner à dire que le trait distinctif de l’académisme est le goût de l’Antique, quand c’est plus précisément le goût de la statuaire. L’Antiquité n’est point par elle-même dépourvue d’animation et de couleur. Ce n’est point parce qu’on prend ses sujets dans le Lalium ou en Grèce, ou dans la Fable, qu’on se voue au gris, au terne et au glacé. Rubens ou Titien traitant des sujets antiques, ou Jordaëns des mythologiques, Vélazquez les abordant par hasard, n’ont rien de commun avec David ou M. Ingres, ou Girodet, Gérard, Fabre ou Guérin. Mais il est bien vrai que, si l’on veut décalquer sur la toile des marbres antiques, en en conservant soigneusement tous les effets linéaires, et en s’interdisant ceux de la couleur, on aboutit presque inévitablement à cet art froid et faux. Dès lors, plus on avance dans cette voie, plus on se perd, plus on cherche à être exact dans l’imitation des Grecs, plus on est froid et embarrassé. Est-il besoin de dire pourquoi ? Cela saute aux yeux. S’inspirer d’une œuvre d’art, si parfaite qu’elle soit, c’est s’inspirer d’une interprétation. Tandis que l’œuvre d’art parfaite s’est inspirée de la nature. Cela fait quelque différence et même toute la différence. Nul besoin de chercher plus loin.