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débarbouille de leur crasse au contact des marbres grecs. Cette fois, il a trouvé mieux qu’un remède : un aliment. Voici la beauté pure, simple, grande, austère, qui peut régénérer l’Art français. Il fait alors une cure de simplicité, de mesure, de style et de grandeur parmi les Antiques de Rome. Il s’en nourrit exclusivement. Jusque-là, tout va bien. Nul ne perdit jamais son temps à goûter l’Antique. Mais, à ce moment décisif de son évolution, il lui arrive une lamentable aventure. Voulant vivre chez les Grecs, trompé sans doute par quelque chapiteau d’apparence dorique, il se trompe de porte. Il croit entrer chez Phidias : il tombe dans les bras de Winckelmann.

C’était un terrible homme que ce Winckelmann, mort depuis quelques années, mais présent et inspirant tous les pédants et les sentimentaux que la Germanie lançait alors sur Rome pour en faire une succursale de Weimar : Lessing, Heyne, Sulzer, Raphaël Mengs pour l’instant absent, mais fréquent, Gessner et bien d’autres. C’était le théoricien logique et imperturbable d’une idée fausse et en vogue : toutes conditions requises pour déraisonner sans que personne s’en aperçût, ou osât dire qu’il s’en apercevait. Son point de départ était celui-ci : la statuaire grecque est la plus belle du monde et nous donne les plus hautes émotions esthétiques. Or, voit-on autour de soi, dans la nature, des gens faits comme les statues grecques ? Non. Donc la beauté n’est pas dans la nature, mais dans l’Art et dans l’Art grec. Imitons-le du plus près possible et nous produirons les impressions que les Grecs nous produisent.

« En convenant que l’étude de la nature est absolument indispensable aux artistes, dit Winckelmann, il faut convenir aussi que cette étude conduit à la perfection par une route plus ennuyeuse, plus longue et plus difficile que l’étude de l’Antique. Les statues grecques offrent immédiatement aux yeux de l’artiste l’objet de nos recherches : il y trouve réunis dans un foyer de lumière les différents rayons de beauté divisés et épars dans le vaste domaine de la nature. » Et même l’Art grec n’offre-t-il pas quelque chose de plus, qui n’est, à aucun degré, dans la vie réelle ? Ecoutons l’homme du Brandebourg : « Ceux qui sont en état de juger des productions des artistes grecs et qui cherchent à les imiter trouveront dans leurs chefs-d’œuvre, non seulement la nature choisie, mais quelque chose encore de plus beau et de plus sublime ; ils y découvriront ce beau idéal,