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Barbus, il les ignore, ou ne s’en soucie ! Commencez par faire un chef-d’œuvre, les pédants trouveront toujours des raisons pour le justifier. Telle est sans aucun doute sa pensée, s’il en a d’autres que d’affermir son pouvoir et d’exalter son nom. L’Art doit servir, sous son règne, à magnifier la vie : tel est l’ordre et en route ! Les historiens diront ce qu’ils voudront.

Ce qu’ils ont dit jusqu’ici ne lui est pas très favorable. Napoléon ne leur fait nullement l’effet d’un Mécène éclairé. Les uns s’égaient de sa prédilection marquée pour l’éléphant, considéré comme un parangon des vertus monumentales et décoratives. Les autres s’indignent de ses projets sur les jardins de Versailles et de son idée d’y figurer, à la place des divinités de l’Olympe, les plans en relief des capitales conquises. D’autres encore le gourmandent sur sa ladrerie à Saint-Denis. Tous, ils épousent les griefs d’Alexandre Lenoir, le fondateur du Musée des monuments français, lequel ayant recueilli les sculptures arrachées aux églises, trouvait monstrueux et presque sacrilège qu’on les leur restituât. Ils accusent encore l’Empereur d’avoir voulu sacrifier les Noces de Cana à ses propres noces avec Marie-Louise, en ordonnant de jeter hors du Salon Carré, ou de brûler, si l’on n’avait pas le temps de le transporter, le chef-d’œuvre de Véronèse. Et Joséphine qui fourrage dans les bijoux du Louvre, pour s’en approprier le meilleur ! Et les ordonnateurs des cérémonies impériales qui menacent d’enlever les reliques des Petits-Augustins pour les exigences de leur mise en scène ! Enfin, cette idée inouïe d’ôter du musée et de remettre à Saint-Denis les tombeaux qui en avaient été retirés ! Que de griefs contre Napoléon !

Mais surtout, ce contre quoi ils ont cru devoir, depuis cent ans, protester, c’est son despotisme. C’est un des lieux communs de l’histoire au XIXe siècle que le despotisme, étant chose mauvaise en soi, ne peut produire, en Art, que de mauvais fruits, tandis qu’un peuple libre enfante nécessairement des chefs-d’œuvre. Delécluze, le meilleur biographe de David et le plus intelligent, n’échappe pas à l’emprise de ce postulat : « Le conseil donné par Bonaparte à David d’abandonner les sujets tirés de l’histoire ancienne pour peindre les événements de la sienne, la commande que le nouvel Empereur fit de quatre grands tableaux pour consacrer le souvenir de son couronnement, et enfin le salut tant soit peu théâtral donné par Napoléon à son premier