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Cela n’empêche point vos administrateurs et vos barnums de crier au voyageur par toutes les affiches de leurs réclames, par le tire-l’œil effronté de leurs bâtisses nouvelles : « Vous êtes ici à l’étranger, en plein exotisme ! Remplissez vos yeux, régalez-vous ! Voyez ces plâtras mauresques, ces arabesques, ces fioritures levantines. Admirez ces koubas, ces patios, ces faïences peintes ! Et voyez maintenant ces chameaux, ces fantasias, ces Fathmas en atours (lesquelles ne sont d’ailleurs que des Juives déguisées) !… Pâmez-vous devant ce bureau de poste, cette prison, cette préfecture, cette église ou cette cathédrale qui ressemblent à des bazars d’exposition universelle !… » — Oui, voilà ce qu’ils font : ils montrent au visiteur, et, ce qui est plus grave, au Français, tout ce qui semble le séparer de vous et rien de ce qui pourrait nous rapprocher les uns des autres. Pourtant, — vous le savez bien, — votre pays regorge de monuments, il est tout couvert de ruines qui attestent bien haut les origines communes de notre civilisation et même, pendant plusieurs siècles, de notre foi religieuse. À côté d’une Timgad, vous avez des centaines et des centaines de villes mortes, dont les colonnades brisées et les portes triomphales proclament que votre pays fut une province latine, qu’il connut, sous l’hégémonie de Rome, une prospérité et une splendeur jamais retrouvées depuis. Au lieu de montrer au visiteur la mosquée qui divise, que ne lui montrez-vous davantage l’arc de triomphe qui rapproche et qui unit ?

Et non seulement ce pays fut un pays latin, mais il n’a jamais cessé de l’être, mais il l’est encore ! Prenez le voyageur par la main, conduisez-le dans vos campagnes, dans vos villes et vos maisons, et faites-lui constater de ses yeux que, si les idées religieuses ont changé ici comme ailleurs, les mœurs, le matériel de la vie sont restés ce qu’ils étaient à l’époque d’Apulée, de Tertullien et de saint Augustin, et même dès les temps les plus reculés.

Ce couscouss, qui lui est servi sous la tente de ce grand chef du Sud, c’est la pultis punica des Carthaginois, leur mets national, dont, voici deux mille ans, le vieux Caton donnait déjà la recette aux cuisinières de Rome, — plat tellement national que Plaute, dans une de ses comédies, appelle un Africain pultifagus, « mangeur de couscouss. » Considérez maintenant ces deux caractéristiques essentielles du paysage africain,