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Chronique - 14 novembre 1921

CHRONIQUE DE LA QUINZAINE[1]




Malgré les conseils de beaucoup de ses meilleurs amis, M. Aristide Briand a donc mis le cap sur l’Amérique. Je ne crois pas qu’il ait convaincu les Chambres de l’opportunité de sa résolution; mais, du moment où elle était prise, le Parlement a voulu, avec raison, faire trêve à toutes discussions politiques et permettre au Président du Conseil de partir avec l’investiture d’un double vote de confiance. Ce n’est pas cependant sans avoir, d’abord, dépensé, dans un long débat préliminaire, beaucoup d’éloquence et un peu d’esprit d’intrigue, que les députés sont arrivés à la conclusion que souhaitait le Cabinet. Dans cette Chambre, où fourmillent les talents et les bonnes volontés, quelques ambitions impatientes, unies à des rancunes tenaces, suffisent parfois à dérouter les esprits. La majorité continue à se chercher et ne se trouve pas. Personne ne la dirige, personne ne lui trace un programme net de reconstruction nationale. L’auditoire écoute tous les orateurs avec une sorte d’éclectisme, qui dénote une grande fraîcheur d’impression et même quelque candeur, mais qui ne prédispose guère les hommes à l’action. Un ministre qui se défend et un député qui l’attaque sont successivement applaudis, avec un égal enthousiasme, sur les mêmes bancs. Une préoccupation excessive et prématurée de la réélection ajoute au trouble des consciences. Au milieu du désarroi que produisent ces causes diverses, les distributeurs de fausses nouvelles ont beau jeu. Pendant les discussions les plus graves, de folles légendes envahissent les couloirs. Des attachés de cabinet, accoutumés à faire du zèle, croient servir le Gouvernement en répandant sur ceux de ses amis qu’on soupçonne de tiédeur ou sur ceux en qui Ton affecte de voir des rivaux, des calomnies imbéciles. « Celui-ci nous amènerait la guerre; celui-là nous brouillerait avec nos alliés. » Des adversaires passionnés du ministère répondent sur

  1. Copyright by Raymond Poincaré, 1921.