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assez divers, M. Bédier eût considéré ce qu’on pourrait appeler le thème fondamental, commun aux quatre ouvrages. On pourrait l’appeler, en langage de médiéviste, la Quête du Rêve impossible. Rostand au fond n’a jamais traité que ce sujet, et, en comparant les quatre variantes, on voit apparaître une idée secondaire, qui achève la pensée du poète : c’est qu’à mesure qu’on est plus près de son rêve, la chute est plus lourde et l’infortune pire. De poème en poème, ce héros unique qui s’appelle tour à tour Joffroy, Cyrano, l’Aiglon et Chantecler, approche davantage le but : Joffroy est trahi, Cyrano n’est pas aimé ; l’Aiglon est bercé d’une triple tendresse et Chantecler n’a plus rien à souhaiter ; et la détresse des personnages croît en raison inverse de leur bonheur apparent, Joffroy étant le plus heureux et Chantecler le plus désespéré. Ce double rythme opposé, qui parcourt l’œuvre de Rostand, achève, si je ne me trompe, d’en définir le sens.

M. Barthou répond. Je le vois de profil. L’habitude de la tribune, la nécessité de convaincre des électeurs et, ce qui est pis, des collègues, l’ont accoutumé à scander ses phrases, et à faire entrer ses mots dans des cervelles rebelles. Il enfonce chaque virgule d’un petit coup de barbe vertical, et il affermit sa pensée d’une secousse de la tête.

Il a composé son discours de deux portraits : celui de M. Bédier et celui de Rostand. Du premier, il a loué la jolie reconstitution qu’il a faite de la légende de Tristan. Il a même laissé entendre que ce petit livre avait pesé dans le choix de l’Académie. Il faut le croire, puisque l’académicien le plus qualifié le dit. C’est un ouvrage très agréable, supérieur, je le confesse, à la Bibliothèque bleue et aux Amadis du comte de Tressan, quoiqu’il donne un peu le même plaisir. M. Barthou a ensuite raconté avec beaucoup de finesse et d’agrément la genèse de ce très beau livre qui s’appelle les Légendes épiques, et qui est l’œuvre maîtresse de M. Bédier.

Des noms émouvants passaient dans ce discours ; les plus belles légendes de France et les plus émouvantes semblaient, présentes sous cette Coupole où.il y a tant de présences invisibles. Parmi ces fantômes il y en avait deux que tout le monde reconnaissait : c’étaient Tristan et Iseult. Pour les autres, je crains que la plus grande partie du public n’ait été un peu empêchée de leur donner un nom ; tant notre vieille poésie nous est étrangère. M. Barthou a félicité M. Bédier de nous avoir rendu Tristan. « Depuis Wagner, a-t-il dit, il semblait que le sujet de Tristan et Iseult n’appartînt plus qu’à Wagner. Il l’avait traité à sa façon, en génie tout-puissant et, enivrés par l’irrésistible magie