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RÉCEPTION
DE M. JOSEPH BÉDIER
À L’ACADÉMIE FRANÇAISE

Un visiteur étranger, qui eût pénétré le 3 novembre sous la Coupole, au milieu d’un public recueilli, eût pensé justement qu’il assistait à quelque cérémonie, service ou commémoration en l’honneur d’Edmond Rostand. L’Académie recevait M. Joseph Bédier, et l’auteur des Légendes épiques a prononcé en historien un éloge, fondé sur les témoignages et sur les textes, de l’auteur de Cyrano. M. Barthou a apporté, à son tour, le tribut de l’amitié à son voisin de Cambo : il en a tracé un portrait à la fois familier et éloquent.

Debout devant un lutrin sur lequel son discours est posé, grand, le poing sur la hanche, l’épée au côté, M. Bédier apparaît comme dans un tableau de bataille. Le jour qui vient du cintre éclaire son large front, autour duquel tourne la flamme à peine visible des cheveux. La lumière dessine l’angle des yeux inquiets, et, sur le visage osseux, illumine les moustaches de guerrier tartare. M. Bédier parle avec force, d’une voix colorée, dont la lenteur n’est pas sans art. Il y a en lui de l’inquiet et de l’attentif. S’il tourne la tête, c’est d’un mouvement brusque ; dans le mouvement même d’une phrase, il s’arrête et il lui faut franchir un obstacle invisible. La science, quand elle n’étourdit, point son homme, est une admirable discipline. Pendant la guerre, M. Bédier, portant l’uniforme bleu, vivant dans les camps et dans les lignes, a écrit un livre d’une étrange beauté, une sorte d’histoire condensée de l’infanterie française, un abrégé net, clair, nu et fort, où les faits resserrés éclatent en éloquence. De même qu’il avait suivi les routes des pèlerins de France pour surprendre