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et ses rives ombreuses. Elle avait, au temps de Rabelais, une importance qu’elle a un peu perdue depuis le XVIIIe siècle, que ses digues ont disparu. Celles-ci concentraient le courant sur la moitié seulement du lit et, suppléant la pente qui est trop faible, balayaient les sables et creusaient un chenal. Telles étaient les « écluses de la Vienne » dont parle maître François, qui rendaient en son temps la rivière navigable et sous lesquelles s’étendait le fabuleux tombeau où Jean Audeau découvrit le gros, gras, gris, joli, petit, moisi livret des Fanfreluches antidotées, — dans la prairie de Saint-Mexine, aux abords de ce faubourg de Besse qui envoya des troupes à Gargantua contre Picrochole, près de l’Arceau Gualeau, qui n’a pas changé de nom, non loin du chemin de fer actuel, au-dessus d’un ancien fief qui est devenu la ferme de l’Olive, et « tirant vers Narsay. » Voici sur le bord de la Vienne la petite église romane de Notre-Dame de la Rivière, encore fréquentée par les pèlerins, et dont les soldats de Picrochole invoquaient piteusement la patronne, sans pourtant détourner Frère Jean d’envoyer leurs âmes au paradis « aussi droit comme une faucille et comme est le chemin de Faye, » — chemin difficile en effet : ceux qui monteront à Faye-la-Vineuse ne manqueront pas d’en tomber d’accord.

Voici, de l’autre côté, et en aval de Chinon, le village de Saint-Louand, dont Maître François n’aimait guère le gras et processif prieur[1], — et enfin la « fosse » de Savigny-en-Véron : une grande mare qui s’étend encore sur un demi-hectare et où il s’exerçait peut-être à la nage comme Gargantua.

Mais c’est sur la rive gauche de la rivière que nous allons trouver le plus grand nombre de souvenirs rabelaisiens. La guerre picrocholine s’y déroule en effet. Autour de La Devinière, entre Lerné et La Roche-Clermault, dans un très petit espace, maître François fait plaisamment évoluer des armées. Suivons-les : la visite de ces champs de bataille-là ne coûte point beaucoup de fatigue et ne remue pas de douloureux souvenirs ; il est aisé de l’achever en un après-midi.


Jacques Boulenger.

(À suivre.)

  1. I, ch. viii ; iv, ch. xii.