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du Roman de la Rose. Non point tous, pourtant. En 1905 encore, M. Péladan publiait un très petit volume où il expose le plus clairement du monde le sujet des Songes drolatiques de Pantagruel. Il est vrai que cela lui était plus facile qu’à nous, attendu qu’il a connaissance de bien des faits historiques que l’on ignore à l’ordinaire : ainsi il sait que le mot « Pantagruel » signifie « en argot du temps : paix ne te vaut guère ; » que Diane de Poitiers avait pour amant Philibert Delorme et conspirait en faveur d’Henri VIII ; que « l’armure dite de Henri II, au Louvre, porte deux potets, ce qui suffit à la désigner comme un cadeau de Diane à son royal amant » (?) et bien d’autres choses encore. Grâce à ces précieux renseignements, il a pu identifier aisément les personnages des gravures : cette marmite, dont l’un des bras porte une écumoire, et dont l’autre, ganté, tient une flèche, ne saurait être que la belle duchesse ; quant au personnage « à la tête d’éléphant avec une trompette à roulettes, » c’est François Ier; tandis que l’on reconnaît avec facilité, dans cette « femme de qualité qui a une pantoufle au bas du visage, la reine Eléonore. » D’ailleurs il ne se pose pas même la question préalable : les Songes drolatiques sont-ils de Rabelais ? En revanche, il nous dit comment il faut entendre le roman de maître François. C’est bien simple. Pour comprendre le mot Trinch, par exemple, qui est celui de la bouteille, il n’est que de songer à la phrase : « Il a trinqué, » laquelle se dit dans le peuple « dans le sens d’écoper ou de participer, de payer sa part de casse ou de responsabilité, » et « de toute façon il faut séparer chaque lettre, T, R, I, N, C, à et lire : Tripe Règne Ire : Nul Ciel Homme. La tripe règne par la colère du ventre, nul ciel pour l’homme… »

Si je cite ainsi ce trop ingénieux ouvrage, — dont le début contient au reste d’excellentes observations sur l’esthétique, — c’est pour montrer qu’il est toujours de bons esprits pour voir en maître François un mystagogue fort horrifique. Hélas ! tout porte à croire qu’il y en aura toujours. C’est peut-être que le prodigieux ouvrage de Rabelais est peu concevable à nos têtes françaises. Quoi ! un homme de chez nous aurait joyeusement accumulé des centaines de vers inintelligibles à dessein, rassemblé des pages de coq-à-l’âne et de propos sans suite pour le seul plaisir de choquer les mots ? Il aurait ri pour le seul plaisir de rire, sans intention précise de moraliser, de faire une satire