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naquirent en foule après le triomphe du christianisme pour l’édification des fidèles et qui recouvrirent un fond de vérité d’enjolivements devenus traditionnels. Mais ce qui importe ici n’est pas qu’ils soient véridiques, c’est qu’ils aient été tenus pour tels par des générations entières de croyants.

Donc, le récit légendaire veut que sainte Reine ait vécu au temps de l’empereur Maximien, c’est-à-dire à la fin du IIIe siècle de notre ère. Elle était âgée de quinze ans, quand un gouverneur du pays, nommé Olybrius, vint à passer par Alise. Frappé de sa beauté et « excité de concupiscence, » il la fit arrêter et amener devant lui. Là elle se déclara chrétienne. En vain, par menaces et par promesses, il voulut lui faire abjurer sa foi ; les tortures mêmes ne purent ébranler sa fermeté. A la suite d’un dernier interrogatoire, le juge la condamna à mort.

« Et aussitôt il se produisit un grand tremblement déterre, et une colombe descendit du ciel, tenant une couronne dans son bec, et les liens de la martyre se rompirent. Et la colombe dit : Viens, Reine, reposer en Jésus-Christ ; tu es heureuse, toi qui as mérité cette couronne. Alors quatre-vingt-cinq hommes ou femmes crurent en Dieu ; et Olybrius irrité la fit décapiter. »

La tradition veut que, à l’endroit précis où roula sa tête, la source dite de Sainte-Reine ait jailli, tout comme aux portes de Rome le chef de saint Paul, en rebondissant deux fois sur la terre, avait fait naître les « Tre fontane. »

Cette histoire légendaire s’est transmise à travers les âges autrement encore que par un récit hagiographique. Chaque année, lors de la fête de la sainte, on représentait naguère à Alise un mystère où tous les rôles étaient tenus par des jeunes filles : l’estrade était dressée en plein air ; une foule compacte, suspendue aux lèvres des acteurs, entourait la scène. C’était, parait-il, une vision de pur Moyen-âge attardée dans notre siècle de scepticisme religieux. Aujourd’hui, nous a-t-on avoué, les bonnes volontés font défaut, la jeunesse du pays préfère à ce souvenir d’un passé poétique des distractions plus profanes et plus modernes. Comme tant d’autres, sainte Reine est une victime du cinématographe.

Pour en revenir à l’histoire de la sainte, les témoins de son martyre enterrèrent tout d’abord la vierge dans le voisinage de la source, en dehors de la ville. Vers l’année 400 ses reliques,