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faire en France un séjour de deux mois et j’en reviens épouvanté. Les études microbiologiques se meurent. Le pays qui a produit Pasteur, Duclaux, Laveran, Roux, pour ne citer que les plus illustres et qui a recueilli Metchnikoff, laisse, sans en témoigner nul souci, périr une science qui lui a valu jusqu’à présent une belle part de sa gloire et dont il a le premier éprouvé les bienfaits. Il n’y a plus d’argent dans notre pays pour les recherches les plus utiles à l’humanité. Nos savants, non payés, s’usent en luttes journalières contre les difficultés matérielles de l’existence. Enfin, fait le plus grave de tous, nul ne vient plus à nous. Notre recrutement est tari. Nul jeune ne se soucie d’entrer dans une carrière aussi misérable et que la mesquinerie des budgets de laboratoire rend, d’autre part, inféconde. Nous n’aurons plus, nous n’avons pas de successeurs. »

Qui oserait méconnaître la gravité tragique d’un tel appel ? qui ignore que la situation est la même dans tous les compartiments de l’élite intellectuelle ? Le préjugé qui existait en faveur des professions dites libérales n’était pas complètement un préjugé. La crise économique qui menace leur recrutement n’est pas une incommodité pour elles seulement. C’est un danger pour l’humanité. Dans une pièce récente, M. Maurice Donnay nous montrait un licencié en droit devenant chauffeur, et une bachelière revêtant le tablier de la femme de chambre. Solutions en apparence fort raisonnables. Mais supposez que cette bachelière fût capable de devenir une autre Mme Curie, et que cet économiste fût appelé à donner la formule de l’entente entre le capital et le travail : en les perdant, la civilisation a fait une perte inestimable. Il n’y a qu’à désespérer du progrès, s’il arrête le recrutement des élites qui sont ses états-majors et qui sont indispensables à l’élaboration et au jaillissement du génie dont un seul coup d’aile diminue davantage la souffrance humaine et nous découvre vingt fois plus de jouissances que le séculaire et stagnant labeur des masses obscures.


Destruction des cadres de l’Etat, affaiblissement de l’intelligence française : ces périls sont assez graves pour que, semble-t-il, il n’y ait pas grand’chose à y ajouter. Encore peut-on estimer que leur échéance n’est pas immédiate. Il faudra quelques années pour que s’en manifestent toutes les désastreuses