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connaissance avec mes amis d’Amérique ; mes lettres vous attendaient et j’avais pris mes précautions pour vous les remettre moi-même à Paris si vous ne veniez pas à La Grange. Ce fut le général Amstrong qui m’apprit le retard de votre voyage ; je vois que madame votre mère persiste dans ses projets d’embarquement. Il m’a été impossible d’aller cette année en Suisse ; mon beau-père a eu la bonté de s’inquiéter de quelques souffrances de poitrine dont on lui a parlé ; il m’a défendu de faire le voyage avant l’année prochaine. J’espère avoir encore le temps d’y trouver madame votre mère ; mais lorsque tous les ports du continent sont sous le même régime, et que le pavillon neutre éprouve partout les mêmes difficultés, pourquoi ne pourrait-elle pas s’embarquer en France ? J’aime à me flatter que toute la famille voudrait bien passer quelque temps à La Grange ; mes enfants s’uniraient bien vivement à cette satisfaction ; en attendant, je compte sur celle de vous recevoir à votre passage et d’avoir par vous des nouvelles de madame votre mère à qui je vous prie de remettre ma lettre ; ayez la bonté de parler de moi à mademoiselle votre sœur et à monsieur votre frère. Mon fils sera bien sensible aux expressions de votre amitié qu’il mérite par les sentiments que vous lui avez inspirés. Je mets un grand prix à ceux que vous voulez bien avoir pour le vieil ami de vos parents et je vous prie d’être persuadé du tenace attachement que je vous ai voué.

LA FAYETTE.

J’attends avec impatience la réponse de Victor Maubourg, à qui j’écris par plusieurs courriers pour être sûr qu’une lettre lui parvienne.


* * *

Pour une raison que j’ignore, peut-être à cause de la difficulté pour La Fayette de correspondre avec Mme de Staël en exil, leur correspondance subit une interruption de plusieurs années.

Elle reprit en 1814.

Aussitôt après l’abdication de l’Empereur, Mme de Staël était rentrée d’Angleterre en France. Comme quelqu’un lui faisait compliment de son retour prochain : « De quoi me faites-vous compliment, répondit-elle, de ce que je suis au désespoir ? » Dans le tome II des Considérations sur la Révolution française, elle a exprimé avec éloquence les sentiments qui l’agitaient, partagée qu’elle était entre la