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un père tel que lui, il fallait pouvoir aimer et se savoir apprécié autant qu’il l’était par vous. Mais c’est vous que je plains, chère madame, de l’avoir perdu et d’avoir appris le malheur dans un état d’isolement qui rend plus cruelles encore les tracasseries dont vous avez été l’objet ; je plains tous ses amis, ceux même qui n’avaient plus le bonheur de le voir, mais qui aimaient à jouir de son existence, à s’honorer de la continuation de sa bienveillance et de son estime, et dans ce nombre, personne ne sent plus vivement que moi la perte que nous avons faite. Ma femme et mes enfants me chargent de vous exprimer la part que nous prenons tous à votre douleur, et le besoin que nous avons de recevoir de vos nouvelles. Celle du passage de M. Constant que je trouve dans une gazette me donne le regret de penser qu’il n’est pas dans ce moment avec vous. Parlez-lui de moi quand vous le verrez ; je n’eus jamais une si déplorable occasion de vous témoigner l’amitié qui m’attache à vous, mais jamais non plus elle ne fut plus profondément sentie.

LA FAYETTE.


IX

La Grange, 1er germinal.

J’ai reconnu votre amitié, chère madame, à l’envoi précieux que vous m’avez fait[1] ; mon cœur en était digne : vous savez combien ma famille partage mes sentiments pour M. Necker et pour vous. Mme de Simiane et Mme d’Hénin étaient ici : c’est à cette réunion choisie comme par vous-même que j’ai eu la satisfaction de lire votre ouvrage. Il a été admiré comme vous le souhaiteriez pour tout autre écrit, et senti comme il faut que celui-ci le soit. Je ne suis guère à portée et suis peu curieux de savoir ce qu’on en dit dans les anciens et les nouveaux salons. Je n’ai lu d’articles de journaux que celui de M. Suard, non que je sois indifférent aux jugements publics, au beau caractère de M. Necker et à votre hommage filial, mais parce que les idées du jour me paraissent n’avoir rien de commun avec l’opinion réelle et durable. L’absurde parti dont votre

  1. Mme de Staël avait écrit, durant l’automne de 1804, une touchante notice sur son père intitulée : Du caractère de M. Necker et de sa vie privée. Elle la fit paraître au printemps de 1805, avant de partir pour l’Italie.