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plus d’une page. Nul n’ignore qu’il a publié, en 1840, deux volumes intitulés le Rhin. Au début de ces deux volumes, il déclare que l’Allemagne est une des terres qu’il aime, une des nations qu’il admire. Il a presque un sentiment filial pour cette noble et sainte patrie de tous les penseurs. S’il n’était pas Français, il voudrait être Allemand[1]. Il n’y a pas à lui reprocher de se pâmer d’admiration devant les vieilles cathédrales, les vieilles villes, les vieux châteaux qui s’élèvent sur les bords du Rhin. Ce serait tomber dans l’excès, mais passons à la conclusion. Victor Hugo a deux haines : la Russie qui est un peuple sauvage écrasé sous le despotisme, et l’Angleterre vis-à-vis de laquelle le fils du général de l’Empire comte Hugo « nom inscrit sur l’Arc de l’Etoile, » nourrit une haine inexpiable.

Voici au contraire comment il parle de la Prusse. « La Prusse est une nation jeûne, vivace, énergique, spirituelle, chevaleresque, libérale, guerrière, puissante. Peuple d’hier qui a demain. La Prusse marche à de hautes destinées… Il devrait y avoir entre la France et la Prusse effort cordial vers le même but, chemin fait en commun, accord profond et sympathie. Pour réaliser cet accord, que faut-il ? D’abord que la Prusse cède à la France tout ce qu’elle possède jusqu’au Rhin. Le Rhin est la frontière naturelle de la France. Comme compensation, il faut que la Prusse s’incorpore le Hanovre. Ce n’est pas assez. Elle n’a de port que sur la Baltique. Il lui faut des ports sur l’Océan. Il faut qu’elle absorbe Hambourg et Oldenbourg afin que l’Océan lui soit ouvert, et qu’elle acquierre la possibilité d’être aussi grande par la marine que par l’armée[2]. Cet accord entre deux peuples faits pour s’entendre et s’aimer constituera l’Europe, sauvera la sociabilité humaine et fondera la paix définitive. »

La brutale agression dirigée contre le Danemark, la politique inaugurée par Bismarck, l’attitude de la Prusse depuis Sadowa ne paraissent pas avoir ouvert les yeux de Victor Hugo. Le 14 juillet 1870, alors que la candidature d’un Hohenzollern au trône d’Espagne était déjà posée et la veille même du jour où le duc de Gramont apportait à la tribune la déclaration d’où

  1. Édition Hetzel, II, p. 9.
  2. « Notre avenir est sur l’eau, » avait dit Guillaume II. Victor Hugo l’avait dit et souhaité pour la Prusse avant lui.