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aussi pour se réconforter et se soutenir mutuellement. J’en ai la conviction, c’était une grande comédie tragique que jouaient ces nobles acteurs.

Le mardi 16, de bon matin, j’étais de nouveau au soviet : je me procurai mon permis sans trop de difficultés. Le domestique du grand-duc Georges avait vu la veille le président du conseil, Eliava, qui venait d’arriver de voyage ; il lui avait dit qu’il regrettait beaucoup d’avoir été absent lors de l’arrestation des Grands-Ducs, que s’il eût été là, on aurait pu ne pas les mener en prison, mais se contenter d’une arrestation à domicile ; maintenant il ne pouvait plus rien : il fallait un ordre d’Ouritsky.

Aujourd’hui nos détenus redoublent d’espérance. Des bruits qui courent la ville sont parvenus jusqu’à eux : les armées des Alliés auraient occupé Petrozavodsk et s’approcheraient de Zvanka… Je n’ai pas voulu les détromper, mais je prête fort peu de créance à tous ces racontars.

Mercredi 17, le colonel Karotchintseff m’ayant fait dire qu’il n’irait pas au soviet, je m’y suis rendu seul ; puis à la prison, sur les quatre heures. Le secrétaire était allé le matin voir le Grand-Duc et lui avait dit que sa demande d’échanger l’emprisonnement contre une arrestation domiciliaire avait été rejetée : l’assemblée du soviet avait décidé que tout ce qu’on pouvait lui permettre c’était d’être transféré à l’hôpital de la prison. Le Grand-Duc avait refusé. Le secrétaire avait ajouté qu’il avait déjà envoyé trois télégrammes à Ouritsky, lui demandant des instructions. Aucune réponse n’était encore arrivée. Il ne désespérait pas que la délivrance fût proche.

Jeudi 18, il pleut, le vent est glacial. Arrivé au soviet, j’ai appris par le secrétaire qu’on avait enfin reçu une réponse d’Ouritsky. Il n’autorisait aucun changement, « jusqu’à nouvel ordre. » Que pouvait signifier l’expression « jusqu’à nouvel ordre ? » C’est à peine si le secrétaire répond à mes questions ; il refuse toute explication.

Comment transmettre cette nouvelle aux malheureux détenus ?

Je les ai vus : ils ont vaillamment accepté cette nouvelle déception.

Il faisait terriblement froid dans la prison ; le Grand-Duc s’était enveloppé d’un plaid. Il était un peu nerveux aujourd’hui. Je commence à perdre tout espoir.