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meubles en acajou. Vers les six heures il était toujours rentré ; nous dînions à sept, presque toujours en tête-à-tête. Le soir, nous allions quelquefois chez nos voisins d’appartement ; on causait, on prenait le thé, on faisait des patiences. A onze heures, on allait se coucher.

La pire souffrance pour le Grand-Duc était l’inaction à laquelle il était réduit : il s’y ajoutait l’ennui du manque de livres ; car il était presque impossible de s’en procurer à Wologda, surtout des livres français. Sa seule consolation, c’était les lettres qu’il recevait de ses amis, — de M. Frédéric Masson, du prince G. C… de Crimée, de M. K… et de Mme M… de Pétrograde, de la comtesse B… de Finlande, et puis les lettres fréquentes de son intendant. Tous les dix jours, l’événement était l’arrivée de son chauffeur M. Léon Renhold, un Français, qui apportait la correspondance de Pétrograde. Lui aussi nous berçait de l’espoir que la fin du bolchévisme était proche.

Dans une aile de la maison, demeurait un Allemand, prisonnier de guerre. C’était un homme des plus serviables ; toutefois, le Grand-Duc ne l’aimait pas. Il me répétait toujours : « Je préfère périr par les mains des bolchévistes, plutôt que d’être sauvé par les Boches. »

Le grand-duc Serge envoyait souvent des cartes postales à son frère ; c’était la seule correspondance autorisée entre eux : toutes les lettres étaient interceptées. Il avait retrouvé à Wiatka trois de ses neveux, — les princes Jean, Constantin et Igor, — fils de feu le grand-duc Constantin Constantinovitch, et le jeune prince Palley, détenus dans la même ville. Il se plaignait beaucoup d’être très mal traité. — Après ce séjour à Wiatka, qui dura six semaines, le grand-duc Serge, ses quatre compagnons et son domestique furent transférés à l’usine d’Alopaeff dans le gouvernement d’Ekatérinenbourg. De cet endroit le grand-duc Nicolas ne reçut qu’une seule carte postale de son frère ; il continuait à se plaindre dii régime auquel ils étaient soumis et disait le plus grand bien du jeune prince Palley. C’est là qu’ils furent tous massacrés et avec eux la grande-duchesse Elisabeth Féodorowna.

Vers le 15 avril, je reçus du grand-duc Georges Mikhaïlovitch un télégramme par lequel il m’annonçait sa prochaine arrivée à Wologda et me priait de lui trouver un appartement. Le malheureux Grand-Duc qui se trouvait en Finlande à