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le chiffre nécessaire de devises étrangères et elle nous offrira, en échange, des marks papier. Offre tout à fait inacceptable. Car le jour où nous nous prêterions à cette combinaison, l’Allemagne se dispenserait naturellement de faire le moindre effort pour se procurer des devises étrangères, elle aurait simplement recours à la planche aux assignats, et elle nous paierait en papier de plus en plus déprécié. Nous pouvons donc être à peu près certains que, soit à l’échéance de janvier, soit, au plus tard, à celle du 1er  mai, l’Allemagne se déclarera incapable de tenir ses engagements. Elle nous demandera alors, avec insistance, la révision de l’état de paiements et elle compte que M. Keynes et ses amis obtiendront pour elle une remise de dette. La France cependant ne saurait consentir, sous aucun prétexte, à une nouvelle diminution de sa créance. La volonté des Chambres s’est nettement exprimée contre toute tentative de ce genre. À ce moment critique, nous aurons donc à choisir entre deux solutions, accorder des délais à l’Allemagne ou la mettre en faillite. Dans un cas comme dans l’autre, nous devrons prendre des gages et des garanties. C’est à quoi il faut, dès maintenant, songer. Les perspectives que j’ouvre ici ne sont pas très gaies, mais il n’est malheureusement que trop probable que les événements viendront confirmer mes prévisions. Toute notre politique vis-à-vis de l’Allemagne doit être une préparation méthodique des mesures qui s’imposeront avant six mois.

Jamais donc, moins qu’aujourd’hui, la France n’a eu le droit de se relâcher de sa vigilance et de se laisser chloroformer par l’optimisme. Certes, M. Briand a eu raison de dénoncer à la Chambre, dans un superbe mouvement d’éloquence, les périls d’une politique d’isolement. Ce n’est pas seulement parce que l’exécution de toutes les conditions du Traité implique, d’après l’acte de Versailles, la coopération permanente des Alliés, c’est parce que cette entente reste dans la nature des choses, c’est parce qu’elle est rendue nécessaire par l’intérêt commun, que nous devons avoir à cœur de la maintenir et de la fortifier. Mais il eût été beaucoup plus facile de la sauvegarder dans le respect scrupuleux du Traité de Versailles que dans la poursuite hasardeuse et désordonnée de solutions nouvelles. Les Alliés avaient signé un traité, qui les engageait vis-à-vis de nous, comme il engageait l’Allemagne envers les vainqueurs. Chaque fois que nous avons paru nous écarter de la lettre et de l’esprit de ce Traité, nous avons reçu de nos amis de sévères reproches. Chaque fois que nos alliés nous ont eux-mêmes proposé de le violer, soit dans la question du forfait,