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de son temps, un assez grand personnage et, dans la société la plus élégante, un galant homme. Tallemant conte une anecdote de la même façon qu’il dessine un croquis. Toutes les médisances lui étaient bonnes, et les calomnies, pourvu qu’elles fussent divertissantes. Il recueillait promptement ce qu’il recueillait et n’empêchait point son plaisir par un souci de critique ou d’exactitude. Sa crédulité est une sorte de complaisance au rebours de la flatterie ou de l’amabilité. Il avait la manie, fréquente chez les écrivains dits réalistes, de supposer que la vérité est toujours ridicule ou abjecte. Il a laissé un tableau de son temps, fort amusant, mais dérisoire. Et, de page en page, nous serions en peine de réfuter Tallemant, je l’avoue. Mais voyez Corneille comme il a réussi à le peindre : ce Corneille n’aura point écrit le Cid. Cette époque non plus n’aura point fait ce qu’il a fait. Les Historiettes, cependant, sont précieuses pour réagir contre une idée fausse et guindée, emphatique et pompeuse, du grand siècle et de ses héros. La vérité n’est point ici ou là, mais dans un mélange de renseignements très divers qui ont besoin d’une interprétation délicate : il convient de ne pas oublier que l’humanité a une certaine constance à tempérer le mal et le bien l’un par l’autre, qu’elle ne change pas du tout au tout et bouge assez peu dans l’intervalle qu’il y a entre l’infamie et la perfection.

M. Emile Magne, qui étudie depuis longtemps et très soigneusement le dix-septième siècle, vient de donner une Jeunesse de Tallemant, qui est l’un de ses meilleurs ouvrages et d’une attrayante lecture. Voilà un excellent érudit. Méfiant ! C’est par-là qu’il faut commencer. Il faut partir de ce principe, que l’on ne doit accorder sa confiance à personne : les livres imprimés sont pleins de bévues (ou de fraudes). La plupart des historiens pèchent par un excès de négligence ou d’ingéniosité. Bien négligemment, ils se contentent d’un renseignement qu’ils ont trouvé n’importe où, sans le contrôler le moins du monde : et il y a, d’un livre à l’autre, une fidélité à l’erreur qu’il ne sied pas de confondre avec le digne amour de la tradition. Très ingénieusement, un historien qui a fait une petite découverte l’agrandit et, sans peut-être s’en apercevoir, la dénature au point que, si vous allez au « texte, » vous n’y voyez pas du tout ce qu’on prétend vous montrer. Les « sources » manuscrites ont un prestige, souvent trompeur. Quel embarras ! Tenez-vous en état de scepticisme vigilant ; puis, avec attention, mais avec humilité, tâchez de saisir un peu de vérité fraîche et peu surprenante. C’est ainsi que procède M. Emile Magne, presque toujours.