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disait-elle, « le même mal que l’autre ! ») ce mot-là ne brille pas seulement dans de beaux vers d’extase ou d’adoration ; on le surprend encore dans toutes les lettres, dans le moindre des billets que le poète adresse avec ses tendresses et avec ses larmes. Ainsi, de même que le besoin de s’épanouir et de parfumer est dans les fleurs, le besoin de chanter dans les oiseaux, le besoin d’aimer est dans Mme Valmore.

Que cette atmosphère, le nimbe, ou si l’on veut l’aura d’amour et d’effusion que le poète des Pleurs répandait partout autour d’elle ait eu jusqu’à un certain point son influence sur un homme tel que Sainte-Beuve, sorti meurtri de bien des aventures, il n’y a rien là de surprenant. « Depuis 1837, écrit M. André Hallays dans la même étude citée plus haut, tout était fini entre Sainte-Beuve et Mme Victor Hugo. » Entre Sainte-Beuve alors quadragénaire et la fille du général Pelletier, que le grand critique avait songé un instant à épouser, puis qui le repoussa par la suite, toute espérance était devenue également vaine. Mais de certains cœurs il est ainsi que des roses remontantes, de ces roses qui semblent avoir un nouveau printemps à leur automne, et de ceux-là sans doute était le poète qui avait écrit dans Christel : « Ne dites pas qu’il (l’amour) ne naît qu’une seule fois pour un même objet dans un même cœur, car j’en sais qui se renflamment comme de leurs cendres et qui ont deux saisons. » Il faut croire que cette seconde saison du cœur date, pour Sainte-Beuve, du moment où le chantre des Pensées d’août, qui fréquentait chez les Valmore, commença bientôt de regarder la fille aînée de Marceline avec des yeux moins indifférents que surpris et admiratifs.

Certes, cette sérieuse Ondine qu’il a nommée plus tard, en la pleurant, une « personne d’un rare mérite, d’une sensibilité exquise jointe à une raison parfaite, » elle était bien encore l’enfant au bord de la source, Ondine Ondinette, comme disait gracieusement Marie de R… Peu faite pour les grands coups de passion, Ondine n’avait, en elle, rien de romanesque et de byronien. Son biographe, M. Jacques Boulenger, nous la représente plutôt comme une créature de raison et de modération, atteinte seulement de la passion de l’étude et du devoir. « Elle était, dit-il, née pour apprendre, pour écrire et pour enseigner ; elle avait l’intelligence, le sang-froid et les grâces un peu pédantes d’une jeune institutrice. » Nous ne croyons pas que