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de prières effarouchée de nous recevoir. Pourquoi ne retrouvais-je pas les murs crépis de chaux blanche, flamboyant au soleil, ni les volets aux teintes claires, ni les terrasses, ni ce sourire à la lumière qu’ont les cités d’Orient ? Serait-ce que les lieux d’où la femme est absente portent le deuil de leur beauté ? Ah ! je le sais : l’après-midi est gris et le solstice d’hiver est proche. Les feuilles jaunies tournoient ; le soleil est passé par-delà la montagne ; et Karyès frileuse attend déjà le crépuscule. N’importe ! il y a ici trop de silence, trop de renoncement austère, trop d’inquiétude d’un au-delà d’expiation. Par les rues caillouteuses, aux carrefours sans fontaines, nulle silhouette d’enfant, nul groupe de bambins rieurs chantant la vie à son aurore. La vie est ici trop penchée vers la tombe. Et je me demande si vraiment le printemps y met quelque douceur, un peu de cette ivresse d’être qui fait jaillir du cceur de l’homme pour son Dieu tant de consolante reconnaissance…

Koutloumoussiou s’entoure de châtaigniers, de bosquets, de coudriers, de noyers enveloppés de la grâce si délicatement triste de l’hiver. L’higoumène de Dionysiou s’est attaché à mes pas. Voilà qu’à son tour il me presse de questions. Cette France, dont on lui a tant parlé ; cette France de foi et de pure gloire, dont le rayonnement est venu frapper l’Athos, l’émerveille et l’attire irrésistiblement.

— La guerre a-t-elle réveillé l’esprit religieux en France ? Les vocations monastiques sont-elles plus nombreuses ?

— Père, l’esprit religieux n’a pas cessé d’être en éveil en France : et, s’il est trop tôt encore pour s’en rendre compte, il se peut que cette effroyable secousse ramène à Dieu plus d’une conscience endormie. La guerre aurait délivré au clergé ses lettres de noblesse… s’il en avait eu besoin.

— Vos prêtres et vos moines ont-ils sans hésitation accepté l’idée de se battre et de tuer ?

— Nos religieux avaient à défendre légitimement leur sol, leurs proches, leurs autels, tout ce qui pour eux était un objet de foi et qu’ils associaient naturellement à leur Dieu.

L’évocation du moine déposant le froc pour faire le coup de feu plonge mon interlocuteur en un océan de stupéfaction. — « Tu ne tueras point, » murmure-t-il.

— « Tu ne te laisseras pas tuer, » répliquai-je.

— Les religieux en France savent-ils tous lire et écrire ?