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des haies de jeunes fougères en crosse. La futaie s’élève. Nos regards, que les cyprès lugubres d’Anatolie ont endeuillés, s’émerveillent de se reposer sur une forêt de France et nos pas s’attardent à fouler des glacis de mousse humide, des jonchées de feuilles mortes. Il reste cependant sur l’âme l’impression étrange d’un silence mystérieux et sacré, d’une paix de tombeau. La forêt est sans vie. Nous cheminons gaiement, mais sans hâte. Xiro Potamou, — « le ruisseau desséché, » — dont la carrure massive émerge à flanc de coteau de ses bois de chênes et de châtaigniers, nous semblait a un jet de pierre : nous risquons de ne l’atteindre qu’à midi. Soudain le bruit d’un trottinement léger, des voix précipitées… nos mulets ! Dieu soit loué !

De leurs montures aux bâts recouverts de tapis d’Asie, trois moines, robes immaculées, cheveux en chignon, prestement ont sauté. Le premier, un dignitaire du monastère, porte sur son visage joufflu et rose de bébé quadragénaire la revanche de l’humaine nature sur les austérités monastiques. Saintes révérences et déluge de paroles. Le grec, sur des lèvres d’hellène, coule comme un torrent guilleret roulant des cailloux de montagne. Notre moine semble ne plus vouloir tarir. Il rougit ; le souffle lui manque ; on sent en lui l’humilité d’une confession que le général écoute sans broncher. La Providence n’abandonne jamais les chrétiens aux heures difficiles. Elle a eu soin d’incorporer à notre groupe M. S… Ministre plénipotentiaire, helléniste fervent, grâce à qui nous apprenons que l’higoumène de Xiro Potamou s’excuse de ce retard. Nous étions attendus sur l’autre versant, à Vatopédi. Xiro Potamou nous réservait les splendeurs de son soleil couchant.

Je dois avouer que, sur ce sentier de chèvre, pavé comme un lit de torrent, où les bêtes glissent des quatre pieds, les débuts de ma chevauchée me causent quelque inquiétude. Mais les pentes que nous gravissons sont si tourmentées, si changeantes et si belles qu’on admire et ne pense plus à soi. Notre caravane prend un aspect biblique. Elle chemine sans un cliquetis de métal, sans un tintement de clochette ou de grelot. Nos mulets, eux-mêmes, obéissent à la dure loi du silence et de la méditation athonite. Leur harnachement de cuir tressé ne se relie par aucune pièce de bronze, ne s’orne d’aucun parement de cuivre. Cloches et clochettes pourtant sont les voix