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CHEZ LES MOINES DE L’ATHOS
UN JOUR DE TOUSSAINT


1er novembre 1919[1].

L’aube est indécise encore ; la nue est toute grise.

Comme une coulée de vieil étain, la mer, aux ondulations alourdies, n’a point encore reçu du soleil ses miroitements de mercure. Elle s’est tue ; la terre dort ; dans l’immensité, il s’est fait un grand calme accompagné de silence ; et, dans le voile de cendre impalpable qui semble tomber avec lenteur d’un ciel d’arrière-automne, l’olympienne silhouette de l’Athos dresse avec une majesté sainte sa pyramide de six mille pieds.

L’Athos ! Le mot avait eu sur mon imagination d’enfant une puissance de magie. Dans mes rêves d’adolescent, le pèlerinage à l’Athos prenait les allures fantastiques d’une visite en des régions de mirage, sous la conduite d’une petite Madone de la terre, ainsi qu’il en est encore aujourd’hui de par le monde. Je ne savais point alors que la grande Madone du Ciel a seule droit de cité en la montagne sainte. Puis, dans mes espoirs d’homme, promenés au long de mes périples méditerranéens, ce fut comme un pieux voyage de dévotion au sublime refuge du recueillement et du mystère. Et l’Athos de mes songes surgissait, à l’appel de ma pensée, d’une mer bleu sombre, pareil à un gigantesque bastion de granit, aux pentes vertigineuses, aux parois très lisses, sur lequel, seul, un miracle du Ciel avait permis aux moines de se fixer. Pourtant, un matin de

  1. Ces pages sont le récit d’une visite aux couvents du Mont Athos, faite par l’auteur, il y a deux ans, à pareille date, à la suite du maréchal Franchet d’Espérey, alors général, commandant en chef les armées alliées d’Orient.