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comme la mienne, pleine de soins et de grâces. » Il évoque fréquemment dans sa Correspondance des souvenirs qui « tiennent une place sacrée » dans sa mémoire, vers lesquels il se reporte souvent « avec un plaisir mêlé de tristesse. » Bien des années plus tard, après la mort de sa femme, il trouve encore dans leur douceur consolatrice un soulagement à son chagrin : « J’ai vécu treize ans d’une grande affection, écrit-il alors à M. d’Espine, d’une affection absolue ; maintenant qu’elle est brisée par la mort, je cherche celles qui l’avaient précédée. Je me reprends à mes souvenirs de cœur, et il y a là, mon cher ami, une grande place pour vous et les vôtres. Mon séjour à Carqueiranne marque dans ma pensée et dans ma reconnaissance envers Dieu, comme le signe d’une grâce particulière et d’une bonté profonde pour les trois ans de calme et d’apaisement qu’il m’a donnés. »

Dans l’une des ailes du « châtelet » le mieux exposées au soleil, M. d’Espine avait installé son hôte en deux petites chambres dont la plus grande servait de cabinet de travail. Sur sa demande, il lui avait, en outre, trouvé comme secrétaire un brigadier des douanes, nommé Alexandre Peyron, doué d’un bagout intarissable, d’une magnifique écriture et d’une orthographe incertaine. Les premiers temps, l’enragé méthodiste avait essayé de poursuivre la conversion ébauchée deux années auparavant. Devant l’attitude réservée de son catéchumène, le désolant silence où il se renfermait, ses réponses évasives quant aux lumières de la foi, l’absence trop certaine en lui de tout signe de la Grâce, le prêcheur, demeuré galant homme, avait abandonné son dessein.

Fixés dans le pays depuis une dizaine d’années, les d’Espine comptaient d’assez nombreuses relations au Pradet, à Costebelle, à Hyères et jusqu’à Toulon. Les « mardis » de Mme d’Espine se trouvaient donc suivis et, depuis l’arrivée d’Augustin Thierry, les visiteurs se faisaient plus nombreux, attirés par la réputation de l’écrivain qu’ils savaient rencontrer. Par la Correspondance que j’ai sous les yeux, ces lettres intimes, traversées par tant de souvenirs émus des « beaux jours de Carqueiranne, » il est possible, à quatre-vingts ans de distance, de reconstituer les éléments de cette société disparue.

Au foyer de M. d’Espine, Augustin Thierry avait eu l’heureuse surprise de retrouver son ancien camarade d’École