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d’aborder toute une série de recherches nouvelles pour retrouver aux sources l’histoire des Goths, des Vandales, des Suèves, des Huns, des innombrables tribus barbares accourues à la curée du monde romain expirant. Le mal impitoyable ne lui permit pas de continuer. Comme il travaillait un soir de septembre, avec son frère, dans son cabinet de la rue des Grands-Augustins, une longue syncope l’anéantit soudain. Le docteur Louis, mandé d’urgence, le considéra d’abord comme perdu. Après de longs efforts, l’emploi des révulsifs les plus violents, lorsqu’on parvint à rappeler enfin une ombre de vie dans ce demi-cadavre, Augustin Thierry se réveilla les jambes à peu près paralysées, incurablement et à jamais aveugle. A trente-trois ans commençait pour lui cette passion, si l’on ose dire, qui devait en durer vingt-huit encore : passion triomphante, puisqu’il en sortit victorieux par la vigueur indéfectible de l’âme et la puissance persistante du talent.

L’opinion que formula le docteur Louis était catégorique. Un dénouement fatal s’annonçait inévitable, si le malade n’abandonnait point à l’instant toute pensée de travail. Seuls, un repos absolu, le soleil et le grand air pouvaient peut-être lui assurer quelques chances de survie.

Peu de temps auparavant, M. d’Espine s’était rendu à Paris pour accompagner son fils Marc, qui venait entreprendre ses études médicales. À cette occasion, il avait revu Augustin Thierry, et, bien qu’intérieurement scandalisé de son indifférence religieuse, il avait, à son départ, insisté dans les termes les plus pressants pour que son ami, au cas où l’exigerait sa santé, vînt de nouveau s’installer à Carqueiranne. Au reçu d’une lettre désolée d’Amédée Thierry, qui lui disait ses angoisses, il renouvela son invitation. Bien qu’à peine en état de voyager. Augustin se trouvait un peu mieux. Dans les derniers jours d’octobre 1828, les deux frères se mirent en route pour Hyères


X. — LES BEAUX JOURS DE CARQUEIRANNE

Ce deuxième séjour à Carqueiranne, qui devait se prolonger trente mois, a laissé dans la mémoire d’Augustin Thierry une impression très vive de douceur et d’intimité.

Il acheva de s’y lier d’une amitié reconnaissante avec les d’Espine, « cette famille qui, pendant deux ans et demi, a été