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lumineux de la grève odorante. Sur la falaise, la batterie ruinée du fort Penô érige sa maçonnerie cubique, percée d’embrasures et de meurtrières, dernier vestige des ouvrages édifiés au grand siècle pour défendre les villages côtiers contre les incursions des Barbaresques. La vue du large y est fort belle sur la Méditerranée brasillante, malheureusement rétrécie vers la gauche par l’avancée de la presqu’ile de Giens, projetant comme une énorme tentacule sa pointe du Pain de sucre.

Carqueiranne, en 1826, n’était qu’un hameau de pêcheurs. Dans cette thébaïde ensoleillée, M. d’Espine avait acquis, quelques années auparavant, d’un cafetier de Toulon, un assez vaste « châtelet, » lourde construction aux murailles bossues, aux fenêtres étroites, aux plafonds surbaissés. Un parc amoureusement entretenu, dévalant parmi les fleurs jusqu’à la mer prochaine, était le seul luxe de l’austère demeure. Entre sa femme, une tante âgée et diaconesse, sa fille Mary et son fils Marc, jouvenceau de dix-neuf ans qui préparait la carrière médicale, l’excellent homme menait en famille, suivant son expression, « une existence chrétienne, sous le regard de Dieu. »

Ce premier séjour d’Augustin Thierry dans l’édifiante maison fut de brève durée. Il n’eut point l’occasion de rencontrer les quelques familles du voisinage qui fréquentaient cet intérieur rigide. En revanche, son hôte reçut une visite à laquelle il attachait grande importance. Un beau matin vit débarquer à Carqueiranne sir Culling Eardley. Ce furent aussitôt avec M. d’Espine de longs conciliabules. La création d’un journal pour défendre et vulgariser les idées de la Société de morale chrétienne semblait indispensable au triomphe de la bonne cause. Ces messieurs tentèrent d’intéresser Augustin Thierry à l’entreprise. Il subit à ce propos les pieuses exhortations de son nouvel ami, ardemment désireux d’entreprendre une conversion aussi retentissante. La « justification par la Foi, » le « salut par les mérites de Christ » trouvaient alors le jeune historien assez tiède. Il écouta néanmoins les homélies, subit la lecture des psaumes, affecta poliment de s’intéresser aux projets dont on lui faisait part.

Ses deux catéchiseurs insistaient, le pressant d’agir sans délai et sa situation devenait embarrassante quand une lettre de Fauriel, enfin arrivé à Montpellier, vint à point lui ouvrir une porte de sortie. Il prit donc congé de ses hôtes, et muni,